Le pays d'Ingary
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 Et si nous faisions semblant?

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2 participants
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Elise de la Marquise
Future reine d'Ingary
Elise de la Marquise


Nombre de messages : 85
Date d'inscription : 28/07/2007

Et si nous faisions semblant? Empty
MessageSujet: Et si nous faisions semblant?   Et si nous faisions semblant? Icon_minitimeMar 3 Aoû - 14:28

Bouder.

Et Elise boudait. Elle était consciente de son attitude puérile, de sa tenue disgracieuse : le dos courbé, la tête baissée, avachie sur cette pauvre Pissenlit…Pissenlit qui galopait à travers les landes et hennissait de temps à autre, comme pour rappeler à sa maitresse que son comportement laissait à désirer et n’était pas digne de son rang. Et au diable l’étiquette !

Mais que faire Mademoiselle de la Marquise boudait et rien à faire, elle refusait de changer d’humeur. Pour sur qu’elle avait des raisons de se claquemurer ainsi et même d’excellentes raisons : les agissements du futur roi. Futur roi qui l’avait installée sur sa monture comme on balance un sac de pommes de terre sur un sol crasseux, qui l’avait abandonnée pour faire Dieu ne sait quoi dans la grange. A présent, grâce aux bons soins de son futur époux, d’affreuses douleurs se diffusaient le long de sa colonne vertébrale, passaient par son cou pour atteindre sa tête. Elle sentait des fourmis se baladaient dans ses pieds et jamais elle n’avait autant maudit ceux qui avaient décrété, au nom d’un quelconque besoin masculin de faire de la vie des femmes un enfer, que les jeune filles devraient monter à cheval en amazone. Et Elise grognait, ou plutôt « grognassait », comme disait sa gouvernante Mademoiselle Ophélie, lorsqu’elle avait affaire à cette enfant boudeuse.

Et voilà qu’elle avait terriblement froid depuis que la nuit était tombée. Le vent traversait la mince cape et la robe pour se frotter contre la peau d’Elise, souffler dans le creux de son cou, soulever sa capuche et faire s’envoler les barrettes qui maintenaient ses cheveux. A présent, les boucles blondes dansaient avec le vent, se réjouissant de leur liberté éphémère.

Et Gabriel faisait de même. Du moins il en avait l’air. Elise contemplait son dos qui ne bougeait pas d’un pouce et se demandait quelle était la raison de la froideur qui émanait du prince. Monsieur avait-il pris la mouche ? Elise n’avait pourtant énoncé que la vérité et ne méritait en aucune façon son courroux. Il fallait que Gabriel accepte d’entendre les remontrances si celles-ci étaient justifiées et pouvaient le faire progresser, faire de lui un homme meilleur ! Mais le prince refusait qu’on le gronde, il était au dessus de cela. Elise savait qu’en tant que jeune fille noble, elle n’avait, en aucune façon, le droit de sermonner Gabriel ainsi et qu’un autre aurait pu la renvoyer dans sa famille. Mais il n’avait pas suivi ce que son orgueil avait du lui dicter à l’oreille, alors qu’il entendait ses quatre vérités et plus encore. Elise quant à elle, se voyait forcée de revoir son plan. Jusque là, depuis qu’elle avait compris que ce petit brun à la tortue serait son futur époux, son geôlier, elle n’avait eu qu’un but en tête : s’échapper, c’est-à-dire être le plus exécrable possible. Art dans lequel, au fils des années, elle avait excellée, Gabriel pouvait en témoigner. Mais la donne changeait : Elise se rendait compte de ce que lui apporterait son rôle de reine. Elle ne serait pas qu’une jolie poupée qui défendrait les droits du peuple et la paix avec des macarons pour armes. Non, elle aurait une chance d’être écoutée, d’avoir une voix, d’être quelqu’un. Gabriel lui offrait une voix. Elise lui offrirait ce qu’il désirait, une épouse plus ou moins présente pour l’assister : jolie et utile. Il fallait donc pour cela qu’elle vive dans une prison dorée, mais il fallait un prix pour toute chose et ce prix-là était raisonnable. Pour cela, elle devait faire profile bas et accorder au prince quelques victoires. Il ne fallait pas qu’il se lasse d’elle.

Et Elise ronchonnait encore. Oui, encore ! Mais jamais véritablement à voix haute. Elle avait peur du Gabriel qui s’était pris un poignard en pleine poitrine, celui-ci était froid et dur et s’il refaisait surface, Elise pourrait en pâtir. Alors elle supportait en silence, alors qu’elle aurait réagi bien différemment en d’autres circonstances. Les heures défilaient, son séant devenait de plus en plus endoloris et ses pensées vagabondaient vers une pente glissante : Gabriel. Alors pour se distraire de ce prince-là, elle songeait à son ventre vide qu’elle aurait volontiers rempli de macarons à la pistache, ses préférés, et à la framboise, à la vanille, au chocolat, au caramel, à la noix de coco, à…à…à…sa gourmandise serait sa propre perte.

« Gabriel, certes il ne faudrait pas être retardé, mais il me semble que nous restaurer et nous reposer quelques heures ne serait pas du luxe. »

Pissenlit au même niveau que Rouge, Elise scrutait Gabriel, espérant que ce dernier accepte. Le dos d’Elise ne survivrait pas à une heure de plus. Demain, quoi qu’en dise son futur époux, elle oserait le pantalon, comme un homme…les robes et être en amazone : Elise refusait, sauf si Gabriel se pliait à la torture lui aussi ! Elise sourit, imaginant un Gabriel vêtu d’une jolie robe verte, les cheveux ramenés en un chignon élégant, les mains gantées, le corset…En parlant de corset, la jeune femme entendit soudain un miaulement plaintif et se pencha vers Gabriel, surprise. Protégé du froid par les bras du prince, Elise aperçut Corset, son adorable chaton bleu. Elle qui espérait que son chat se remettait de ses mésaventures, au coin du feu, avec sa famille, elle était d’imaginer qu’il subissait les mêmes maux qu’elle !

Gabriel déjà guidait Rouge vers une auberge, plutôt miteuse, qu’Elise ne commenta pas, plutôt préoccupée par son chat. Elle souffla silencieusement pour rester calme, gentille et ne pas voir ses belles résolutions flanchées dès la première heure, puis elle murmura tout en suivant Gabriel vers les écuries :

« Que fais Corset ici ? Ce chat, n’est pas un jouet Gabriel. J’y tiens énormément. Vous ne blesserez pas un être qui me tient à cœur, n’est ce pas ? Puisque vous l’avez pris royalement, c’est-à-dire sans m’avoir demandé la permission, vous vous occuperez de mon Corset. »


Elle reprit avec ce qu’elle espérait plus de douceur, tout en descendant de Pissenlit :

« Je suis heureuse qu’il fasse parti du voyage. Corset est facile à vivre et nous apportera un peu de baume au cœur quand ce sera difficile, mais je vous prie de ne pas faire de bêtises. »


Gabriel entretemps avait changé de couleur de cheveux. La potion de ce vieux fou avait finalement fonctionné et le prince en était transformé. Ces cheveux courts et blonds, ils ne lui allaient pas…du moins, moins bien que les cheveux noirs. Là, on aurait dit une pâle copie d’elle-même, un frère fade, alors que sa sombre et épaisse chevelure lui donnait un air plus mystérieux, moins neutre.

« Vous êtes parfait. Le blond vous rendrait presque innocent. Presque. Dans la mesure où nous nous ressemblons énormément, je serai votre sœur, Louisa. J’espère que vous saurez vous en souvenir. Trouvez-vous un nom. Je saurai m’adapter. Ces gens n’ont pas besoin de savoir notre nom. Ils n’oseront pas le demander. »

Un palefrenier vint caresser l’encolure de Pissenlit et la guider vers un boxe et Elise s’enfuit vers l’auberge, à l’abris de Gabriel, du vent froid et de ses problèmes.

Une forte odeur de sueur. Ce fut ce qui gêna en premier la jeune femme. Puis une chaleur suffocante, mais plus agréable que le vent à l’extérieur qui soufflait fort. Puis des rires gras. L’auberge ne ressemblait en rien à ce qu’Elise côtoyait. A Kingsbury, même le bas peuple gardait une certaine propreté et élégance qu’ici les gens semblaient ignorer. Sous les traits de Maria, jamais Elise n’avait assisté à pareille scène. Les hommes tous plus ou moins ivres et vêtus de haillons, regardaient l’inconnue avec des yeux avides. Les quelques femmes présentes, riaient elles aussi, dans le même état que leurs compagnons. Gabriel rejoint la jeune femme et celle-ci en profita pour s’approcher du comptoir. Derrière celui-ci, un vieil homme s’approcha d’elle, un verre dans une main, un torchon dans une autre.

« Que puis-je pour vous les tourtereaux ? »

« Mon frère et moi-même désirions diner et une chambre pour la nuit, serait-ce possible ? »

Un rire s’échappa de la bouche du vieil homme qui se pencha vers Elise, les yeux plein de malice :

« A d’autres ! Ma p’tite dame, tu penses pas que j’en ai vu d’autres des p’tits couples comme vous, qui s’échappent pour se marier en douce ? Ne me la raconte pas princesse. Mais bon, ici les amoureux, votre secret sera bien gardé. »

«Nous n’en doutons pas » murmura Elise, sceptique et agacée que tant de petites noblesses ne ternissent leur image en se mariant contre la volonté de leurs parents respectifs. « Je disais donc que nous prendrons le repas et une bouteille de votre meilleur vin. »

Elise se détourna et alla s’asseoir à la seule table libre, plus ou moins entourée par des chants grivois qui auraient fait rougir Tristan. Elle entendit distinctement le vieil homme murmurer à l’adresse de Gabriel :

« Faut les mater ces dames-là. Mon gars, vous devriez lui montrer qui commande ! »

Et c’est ainsi qu’Elise s’assit lourdement sur le banc en bois, songeant que la nuit serait très longue, peut-être même trop et que Corset serait son seul réconfort.
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Gabriel de Guerry
Prince d'Ingary
Gabriel de Guerry


Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 19/07/2007

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MessageSujet: Re: Et si nous faisions semblant?   Et si nous faisions semblant? Icon_minitimeMer 11 Aoû - 23:02

« Oui Elise. Non Elise. Très bien... Louise. Gabriel soupira, posant le petit chat sur une botte de foin. Ta maîtresse me prend pour un enfant. Et sans me donner l'occasion de lui confirmer que j'avais, de toute façon, l'intention de m'occuper de toi, elle me l'a ordonné. Comme si... Comme s'il s'agissait d'une punition. »

Le chaton ronronnait en se frottant contre la main du prince qui le caressait tout en lui confiant ses pensées. Les écuries étaient calmes, même désertes, si ce n'était de quelques chevaux, dont Pissenlit et Rouge qui, complètement débarrassés de leur harnachement, s'adonnait à se remplir l'estomac. Gabriel avait libéré le palefrenier de ses tâches, insistant pour s'occuper lui-même des bêtes. Celui-là est un peu difficile... Et pour appuyer cette affirmation il en était allé d'un récit inventé de toute pièce qui avait fait grimacer d'horreur le valet. Cependant le jeune homme avait insisté pour lui venir en aide et s'était donc chargé de mener à leur chambre leurs effets. Enfin... En supposant que vous dormiez ici? Gabriel avait acquiescé en souriant. Il goûtait ses tous premiers contacts sous ce visage que l'on associait plus au prince, et cela était réellement emballant. Bien plus encore qu'il ne s'était permis de l'espérer. Puis il avait retiré son manteau, s'efforçant de contenir son enthousiasme, et s'en était remit à Corset.

« Je crains qu'elle n'éprouve véritablement que de l'aversion envers ma personne... murmura-t-il en enveloppant le félin dans sa veste sans manches qu'il venait d'essorer après l'avoir trempée dans un seau. Qui sait, peut-être aura-t-elle plus de sympathie pour son frère que pour son futur époux. »

Une fois le chaton rapidement frictionné, il le prit sous son bras et rejoignit vite fait l'auberge. Il y trouva une Elise qu'il devina impatiente, puisque dès qu'il fut à ses côtés, elle s'en alla au comptoir. Il accusa la faim, pour s'encourager, et quitta la robe dansante des yeux pour jeter un regard circulaire sur l'endroit. Cela puait la camaraderie et la chair avivée par l'ivresse. Cela puait les grossièretés et la grivoiserie. Un parfum d'interdit, d'exotisme, de liberté qui tira au prince un interminable sourire. Jusqu'à ce qu'une main, d'une claque vigoureuse, sème le feu à ses joues. Il serra le chaton contre lui, soudain figé, et vit le contourner une petite silhouette de femme dont les courbes évoquaient une gourmandise certaine. Elle éleva une main en l'invitant à la suivre.

« Viens par-là mon joli, on va te trouver de quoi te rendre plus appétissant! »

Hésitant d'abord, passant une main sur sa nuque dénudée, il en vint au bout d'un instant à faire un pas, et se retrouva finalement au comptoir auprès d'Elise, qui se chargea sans lui porter attention de passer commande. Il ne suivit que d'une oreille discrète ce qui se dit, son attention étant prise par la dame qui s'affairait désormais auprès du vieil homme. Elle servait à boire aux clients, l'un après l'autre, en leur adressant chacun quelques mots que Gabriel n'avait pas l'habitude d'entendre, un franc sourire et à l'occasion un éclat de son rire généreux et communicatif. Lui-même en vint à retrouver son sourire, amusé par cette joie de vivre que s'échangeaient tout naturellement les gens, ici. Plus ou moins courtoisement, certes, mais de manière bien sentie. Il fut surpris de voir qu'Elise n'y était plus, en tournant la tête pour l'interroger à savoir si elle appréciait cet endroit. Mais il n'eut pas à la chercher bien longtemps du regard. Assise seule à la table qui deviendrait leur, elle semblait d'humeur plutôt sombre et cela l'ennuya.
Il posa un coude sur le comptoir, et Corset, la fourrure hirsute en plus d'être toujours bleue, qui s'y assit tout à son aise, pour poursuivre sa toilette. Gabriel darda sur lui un regard interloqué. Quel chat... Pas étonnant qu'il se soit retrouvé dans la teinture. En tous les cas, il n'y avait plus beaucoup à faire pour lui. Il avait enlevé ce qu'il restait de teinture fraîche et désormais, il ne restait plus qu'à attendre que le poil tombe et repousse.

« Faut les mater ces dames-là. Mon gars, vous devriez lui montrer qui commande! »

L'apparition d'un verre rempli d'un liquide incolore ponctua ce sage conseil. Gabriel leva un air hébété à celle qui venait de lui en faire don. Elle croisait résolument ses bras potelés sur sa grosse poitrine qui manquait déborder de son décolleté évasé.

« Ben faut boire, mon p'tit! »

Tenant le verre entre son pouce et son index, il l'éleva à son nez et l'arôme lui piqua les yeux. Il cligna des paupières de nombreuses fois, sous les rires des deux hôtes. Et sous leurs regards incitatifs, il but une fine gorgée. Le liquide lui défricha la gorge et il eut même l'impression que cela avait fait un trou dans son estomac. Dans une grimace, il secoua la tête en repoussant l'alcool, mais on le reposa fermement sous son menton.

« D'un coup, aller! C'est du courage concentré, ça. Plus efficace que toutes les potions sur le marché! »

Il inspira en défiant la boisson sans nom du regard puis, d'un geste vif, s'envoya les quelques centimètres de liquide dans le gosier. Quand il reposa le verre vide devant lui, il crut que sa tête allait lui fondre sur les épaules, que de la cervelle en ébullition lui sortirait par les oreilles. On posa un bol de lait devant Corset, qui y plongea aussitôt les moustaches, et on tapota l'épaule de Gabriel comme pour le féliciter. La dame était retournée à ses clients et le vieux lui souriait, l'œil rieur.

« Alors? »

Gabriel, la mâchoire appuyée dans sa main, observa de loin Elise à sa table, haussa une épaule et revint au vieil homme.

« Avec Louise c'est toujours pareil. Elle me prend pour un idiot. Et pourtant, de nous deux, je suis l'aîné, je suis l'homme! Mais elle n'en fait qu'à sa tête, incapable de me faire confiance. Je voudrais la protéger et elle, il me semble que tout ce qu'elle désire, c'est... Je n'en ai pas la moindre idée. »

Le vieux l'avait écouté tout en astiquant des ustensiles avec un torchon sale.

« C'est vraiment votre sœur, alors! »

Vaguement surpris, Gabriel hocha la tête. En même temps, un plateau glissa jusqu'à buter sur son coude. On y avait entassé deux assiettes surchargées de pot-au-feu, du pain, des ustensiles et deux gobelets. Suivit la bouteille de rouge, qui atterrit dans un bruit sourd auprès du repas. Gabriel fouilla ses poches à la recherche de sa bourse et l'aubergiste lui adressa un clin d'œil.

« Les comptes c'est pour demain, mon gars. Il indiqua Elise de son menton mal rasé. Allez plutôt la rejoindre avant qu'on ne vous vole votre place. »

En effet, la table où elle siégeait seule semblait convoitée par la plupart des hommes présents dans l'endroit qui, entre deux gorgées de bière, avaient pour Elise un regard de carnassier en chasse.

« Dites, elle c'est Louise et vous c'est comment? »

Question piège. Et pourtant s'étonna-t-il de répondre, tout sourire :

« Alexandre. »

Gabriel prit le vin sous son bras, le chat sous l'autre, le plateau d'une main et le bol de lait de l'autre côté. Manquant renverser son fardeau quelques fois en chemin, il arriva sain et sauf à la table et déposa le tout sur la surface de bois mal vernie. Corset fut installé près du mur, sur le banc. Les verres remplis, son assiette devant lui, le prince entama sans presse son repas et, sans lever les yeux du morceau de viande qu'il découpait, il s'adressa à Elise, tentant de contenir son entrain, qu'elle jugerait sans doute puéril...

« Je crois que nous serons biens, ici... Et je... Je compte écrire à mon père, pour l'informer des circonstances de mon départ. Vous aviez raison. … Sur ce point. »

Il prit une première bouchée, buta sur un tendon ou quelque chose comme ça, et fit passer le tout dans une généreuse gorgée de vin, déterminé à se convaincre que tout était aussi parfait qu'il se l'imaginait. Et à nouveau, tout aussi inattendue, une main vint le frapper, mais à l'épaule.

« Alex! - Je peux vous appeler comme ça? C'est le vieux qui nous a dit. - C'est vrai ce qu'a raconté le palefrenier? »

Autour, l'on jaugeait les deux étrangers patiemment, attendant de voir s'ils se feraient camarades à leur tour où s'ils demeureraient reclus dans leur noblesse comme la plupart qui les avaient précédés.

« Pardon? Fit Gabriel, se contorsionnant un sourire qu'il noya dans le vin.
- L'histoire de votre père qui s'est pris le sabot de son cheval en plein dans le braquema-
- AAAaaah...! Çaaa...! »

Il se gava d'une épaisse rondelle de carotte, de viande, et encore de viande en prenant soin d'éviter les yeux d'Elise. En revanche, le reste de yeux dans l'auberge s'étaient en grande partie tournés vers eux. L'on buvait gaiement. Les histoires de nobles qui se faisaient botter le derrière étaient toujours divertissantes. Et la sœur du noble qui avait l'air pas trop pédant était assez divertissante, à sa manière, elle aussi...

« Qu'est-ce que vous vouliez dire par, il s'en est pas tout à fait remis? »

Le prince se redressa, expirant bruyamment et avala ce qu'il restait de son énorme bouchée, avant de se rinçer la gorge en calant son verre sous les hochements de tête approbateurs des villageois. Et il osa, finalement, défier Elise du regard. L'étrange conviction qu'en ce moment il n'était plus Gabriel mais bien Alexandre lui autorisa un toupet qu'il n'avait jusqu'à présent jamais expérimenté de sa vie. Un toupet blond, qui plus est.

« Jusqu'à ma venue au monde, commença-t-il naturellement à expliquer, se resservant du vin, notre mère a toujours donné naissance à des jumeaux. Et il énuméra. Julien et Julienne, Paul et Paulette... Et puis il y eut ce cheval au fort caractère avec lequel notre père revint des enchères du haras de Kingsbury. Lord Orange de Fouville, qu'on l'appelait. Et un beau jour, alors que le vieux s'échinait pour la millionième fois à tenter de lui passer la bride, l'étalon le mordit à la main et lui rua dessus en s'en allant au champ. Mon père reçu le coup... Vous savez où. Et plus jamais ma mère ne donna naissance à deux enfants à la fois. Il y eut moi, puis ma charmante sœur, Louise.
-Pauvre vieux...
-N'est-ce pas. ajouta platement Gabriel. Bref, ce cheval qui est désormais ma monture n'est nul autre que l'unique descendant du dangereux Lord. Dès qu'il sut, notre père s'est empressé de s'assurer que l'étalon n'ait plus l'occasion de se reproduire. »

Il y eut un silence. Puis l'on éclata de rire en entrechoquant pichets et verres. Il ne leur en fallut pas davantage pour juger qu'ils avaient trouvés en Alexandre-le-noble un compagnon. Ainsi l'un d'entre eux le rejoignit sur son banc, tandis qu'une lutte silencieuse s'opérait entre les gaillards pour déterminer qui prendrait place aux côtés de la sœur. Sœur que le frère se risqua à fixer, posé, doux même. Ignorant le bras que l'on avait passé sur son épaule, ses cheveux que l'on venait de lui ébouriffer et le pique-assiette qui mit la dent dans son pain.
Et oui, Gabriel avait un peu chaud, et non, ce poing qui servait d'appui à sa joue ne servait pas qu'à reposer, mais également à soutenir cette tête blonde et lâche qu'il avait.

« Louise... Dites-moi, vers quel dessein aspire ce cœur qui m'est si cher et pourtant impénétrable? »

Dans cette auberge gorgée d'hommes et de femmes inconnus, anonymes pour tous exceptés eux deux, il lui sembla qu'ils étaient seuls comme rarement auparavant ils l'avaient été.

« Que c'est joliment dit... »soupira-t-on derrière.
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Elise de la Marquise
Future reine d'Ingary
Elise de la Marquise


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Date d'inscription : 28/07/2007

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MessageSujet: Re: Et si nous faisions semblant?   Et si nous faisions semblant? Icon_minitimeJeu 26 Aoû - 16:03

[Pardon pour le retard What a Face ]

Elle ne pouvait empêcher le sentiment d’insécurité s’éloigner plus Gabriel approchait. Et elle s’agaçait. Elle s’agaçait lorsqu’elle se surprenait à s’accoutumer à la présence de cet homme, de cette énigme sur patte et pire à rechercher cette même compagnie. Elle ne cessait de retenir des soupires agacés alors qu’elle le surprenait à s’enivrer comme le dernier des ivrognes et à traverser la salle comme un roi au milieu de sa cour. Ce prince-là n’était guère doué pour cacher ses états d’âme : il exultait, elle le voyait bien dans sa démarche chaloupée, sur ses lèvres qui se tordaient en une drôle de grimace qui ne pouvait véritablement contenir un sourire de joie... Et ses yeux ! Ils pétillaient comme le champagne, comme les yeux d’un enfant qui aurait retrouvé sa tortue. Et plus Gabriel s’accommoder à cet univers, se considérait comme l’un des leurs, plus la jeune femme se sentait mal à l’aise, déboussolée et sur le qui-vive.

Comment aurait-elle pu se détendre alors qu’elle se retrouvait entourée d’un troupeau de sauvages qui la scrutait les mains tendues, comme pour l’approcher, la toucher. Et lui, ce gredin de Gabriel qui s’asseyait paisiblement, comme un bien heureux, son repas ou plutôt leur repas entre les bras. Son regard parfois s’arrêtait sur un homme, sur un sourire, glissait sur les silhouettes, surtout sur celle de cette serveuse qui ne ressemblait en rien à Elise et qui parvenait à voler tous les cœurs de ces hommes, même celui de Gabriel qui la dévorait des yeux. Elise mangeait en silence, peu désireuse de parler avec Gabriel, craignant que leur pacte ne survivre à sa colère, colère qui demeurait injustifiée…Et le pire dans cette histoire, c’est qu’elle en était plus que consciente et que son incapacité à trouver l’origine de son état augmentait sa détresse.

Elle sirotait alors son vin, comptant sur l’alcool pour apaiser son cœur. Pour avoir déjà expérimenté la chose, Elise savait que, contrairement à ce que disait Jacob, toutes les femmes ivres ne se mettaient pas debout sur les tables pour se déshabiller. Elle n’avait alors aucunement la crainte d’agir de manière fâcheuse pour son propre sexe et un peu pour Gabriel qui ne se remettrait pas d’un tel spectacle. Elise étouffa un rire en songeant à la scène qui aurait pu se dérouler si le vin avait été son point faible. Elle se servait alors discrètement mais généreusement et peu à peu, elle s’adoucit, profitant de la chaleur qui l’entourait et qui rendait son teint rosé et ses yeux brillants. Ou peut être était-ce l’alcool qui était un peu plus fort que celui que lui servait son père.

« Alex! - Je peux vous appeler comme ça? C'est le vieux qui nous a dit. - C'est vrai ce qu'a raconté le palefrenier? »

Elise se tourna vers Gabriel, tout aussi surprise que leur entourage. Elle attendait qu’il s’explique tout en retenant le nom qu’il s’était choisi. Si elle pouvait éviter de faire une bavure en l’appelant Gabriel…

« Pardon?
- L'histoire de votre père qui s'est pris le sabot de son cheval en plein dans le braquema-
- AAAaaah...! Çaaa...! »

Elise scruta Gabriel, les sourcils froncés, les couverts suspendus dans les airs entre l’assiette et la bouche, peu attentive à ses manières disgracieuses. Le prince évitait son regard, alors qu’elle s’efforçait de comprendre à quel jeu il jouait : un moyen d’intimider ceux qui leur chercheraient des ennuis ? Une histoire pour les rendre plus crédibles aux yeux de l’assemblée ? Gabriel aurait-il grandit et tenterait-il d’anticiper les questions des plus curieux ?

« Qu'est-ce que vous vouliez dire par, il s'en est pas tout à fait remis? »

Apparemment non, Gabriel demeurait l’éternel gamin farfelu. Le prince hérité était intenable et Elise se donnait des airs de chaperon à veiller sur lui comme le faisait sa gouvernante alors qu’elle n’avait pas encore atteint sa dixième année. Gabriel, comme pour défier Elise de le « gronder » comme elle savait si bien le faire et alors trahir leur couverture, la scruta tout en racontant son histoire farfelue.
Plus Gabriel avançait dans son histoire, plus le visage de la jeune femme se décomposait : comment pouvaient-ils rester crédibles lorsque cet imbécile débitait à longueur de temps des âneries pareilles ! Qui pouvait croire à ces idioties ! Ce gamin ne devait toujours penser que les enfants naissaient des choux !

Silence.

Les rires ramenèrent Elise sur terre qui ne put empêcher un sourire de fleurir sur ses lèvres alors qu’ils riaient tous et que certains tapaient dans le dos de Gabriel. Ces gens, malgré leur rang social, leurs excentricités (n’est ce pas Gabriel) les acceptaient totalement. Elise pendant un instant ne sut qui elle était vraiment : Elise de La Marquise, la future reine, téméraire mais gênée par les regards qui constamment convergeaient dans sa direction? Maria, pour qui ce monde était plus familier et qui commençait déjà à se rappeler des moments passés dans une taverne comme celle-ci ? Ou Louise qui tentait tant bien que mal de se faire discrète dans ce monde ou la bonne humeur du groupe pouvait d’une seconde à l’autre déraper et devenir une bataille, ou une orgie, selon la tournure que prenaient les événements.
Et si elle se glissait de nouveau dans la peau de Maria ? Maria que rien n’effrayait, qui se moquait des risques, intrépide comme Elise mais plus libre de ses faits et gestes. De toute façon, elle pourrait toujours, une fois ce voyage achevé, prétendre que tout ceci n’avait jamais existé et qu’elle n’avait jamais agi d’une façon aussi inconvenable pour une jeune fille de son âge et de sa classe. Sa parole contre celle de Gabriel, elle n’avait aucune inquiétude, étonnamment les gens avaient tendance à la croire plus facilement ses dires que ceux du prince.

Le vin et les rires aidant, Elise se laissa aller à sourire elle aussi et à suivre le mouvement. Un homme, de la taille d’un ours, vint s’asseoir à ses cotés, en faisant tomber certains hommes à même le sol et passa son bras par-dessus les épaules de la jeune femme avant d’entamer une chanson. Elle surprit Gabriel dans un état des plus étranges : sa tête posée lourdement sur son poing, il la regardait, pensif.

« Louise... Dites-moi, vers quel dessein aspire ce cœur qui m'est si cher et pourtant impénétrable? »

«Pourquoi chercher à me comprendre Alexandre, mieux vaut aller de surprise en surprise ! Si une femme délivrait tous les secrets de son cœur, elle deviendrait insipide. Estimez-vous heureux d’être auprès d’une sœur comme moi ! Chaque jour est une nouvelle aventure !»

« Bien parlé ma p’tite » répondit une serveuse, tout en lui adressant un clin d’œil.

« Alexandre ne vous a pas tout dit de nos petites histoires familiales. Le coquin, il préfère raconter des petites anecdotes sur les autres…Vraiment Alexandre, quant à faire profiter cette charmante assemblée de la vie de notre cher père, autant ne pas être timide et faire de même pour ta propre vie ! »

« Une histoire ! Une histoire ! Une histoire ! » Répondirent tous en cœur, les couverts frappant sur la table.

Elise ramena le silence d’un bref mouvement de main, finit d’une traite son verre de vin et se pencha légèrement, prenant des airs de conteur.

« Il ne faut jamais rire des mésaventures de nos pères, surtout lorsque les nôtres ne sont guère mieux ! Alexandre, lorsqu’il était petit, avait des problèmes la nuit. Il cauchemardait ce qui se résultait, comme vous pouvez l’imaginer, par un lit humide d’urine tous les matins. Je vous épargne les détails. Mes parents, dans la mesure où ils avaient l’habitude de s’occuper des enfants, ne le brusquèrent pas et c’est ainsi que jusqu’à….oui…Longtemps, jusqu’à bien sa onzième année, mon frère adoré se réveillait dans un lit trempé…Nous nous étions depuis longtemps inquiétés à son sujet. L’enfant ne devenait pas un homme : déjà le jour il avait un comportement des plus étranges puisqu’il préférait aux jeux d’hommes et à l’apprentissage de l’art de la guerre, la chasse aux papillons et les promenades dans les jardins avec notre mère. A présent la nuit il refusait de faire face à ses peurs. Des médecins venaient étudier son comportement, toutes les semaines…une véritable parade de robes longues et chapeaux noirs. Mais l’un d’eux le guérit… »

Elise joint ses deux mains, yeux au ciel, comme pour remercier un dieu quelconque d’avoir sauvé son pauvre frère.

« Ce dernier préconisa un traitement qu’Alexandre suivit à la lettre : dormir avec une poule sur ventre et ne manger pendant un mois que des pissenlits. L’effet fut immédiat. J’en profite d’ailleurs pour vous demandez monsieur l’aubergiste si vous pourriez nous louer une poule pour la nuit ? Dans le cas contraire, Alexandre risquerait de ne pas pouvoir fermer l’oeil! »

L’aubergiste resta un instant bouche bée, amusé par les étranges habitudes des nobles…Vraiment, ils étaient une espèce à part. Sa femme ébouriffa les cheveux de Gabriel avant de s’exclamer :

« Fallait pas nous cacher ça mon p’tit monsieur. On va vous donner notre plus belle poule. Et pour fêter la venue de ces drôles d’étrangers, on vous offre une nouvelle tournée ! »

« Mais…Janine… »murmura l’aubergiste.

« Ecoutez le-moi ronchonner celui-là… pas de « mais » ! Carmen, sers donc tout ce beau monde ! »

La jeune femme, celle qui avait odieusement approché Gabriel, remplit un peu trop généreusement leurs verres et Elise qui sentait sa tête tournée, oublia les bonnes manières et se servit de l’ours qui se trouvait à ses côtés comme appui.

« Et vous ma p’tite dame, on a une petite histoire embarrassante sur vous ? » demanda un peu trop innocemment la Carmen en question qui avait décidé de poser son séant sur la longue tablée. Très vulgaire, selon Elise.

« Aucune. Malheureusement pour vous, je représente la perfection. »

Pour que sa déclaration fasse plus d’effet, elle descendit une bonne partie de son verre puis le reposa brutalement sur la table, fière d’elle. Oh ! Le monde tournait un peu autour d’elle. Et si elle montait sur la table ?
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Gabriel de Guerry
Prince d'Ingary
Gabriel de Guerry


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Et si nous faisions semblant? Empty
MessageSujet: Re: Et si nous faisions semblant?   Et si nous faisions semblant? Icon_minitimeMar 31 Aoû - 9:29

Chaque jour est une nouvelle saventure, rectifia mentalement Gabriel en baissant les yeux sur son verre, dépité. Il y fit tournoyer ce qu'il y restait de vin, tout en songeant à ces milliers de jours qu'il devrait partager avec Elise. Ces milliers de matins et d'avants-midi. Ces déjeuners, ces dîners. Ces soirées innombrables et ces... et ces nuits. Il cligna nerveusement des paupières, puis se désintéressa du liquide rouge, s'inquiétant soudain de ce qui allait suivre. Contrairement aux autres clients de l'auberge, il ne réclama pas d'histoire et espéra en silence qu'elle ne vienne jamais, car il se doutait de quelle nature elle serait.

Très bien, qu'elle le ridiculise, songea-t-il en portant son attention vers Corset qui, repu, s'était couché, recroquevillé contre son bol vide. Mais qu'elle sache s'arrêter avant qu'il lui devienne impossible d'en rire. Qu'elle le pousse dans la boue, pourquoi pas. Il s'en relèverait et parviendrait à tirer un honnête sourire de la plaisanterie. Il y répliquerait peut-être même. Mais qu'elle le pousse et qu'elle lui marche dessus n'avait plus rien d'amusant. Pourquoi ne pas s'en être tenue à son histoire de poule? Se demanda le prince en écoutant d'une oreille distraite l'aubergiste et sa femme. Pourquoi ne pas s'en être tenue à la fiction... Pourquoi avoir insisté, comme pour être certaine de l'atteindre, en évoquant les promenades et les papillons qui, eux, n'avaient hélas rien de fictifs... Pourquoi lui rappeler que derrière cet Alexandre il y avait bel et bien un Gabriel?

Il soupira, faisant fi de ses cheveux en bataille, et caressa le dessus de la tête de Corset, qui se mit aussitôt à ronronner, à demi endormi. Lorsqu'il daigna à nouveau regarder Elise, elle se reposait, indolente, sur l'épaule d'un gros type qui devait se croire bien plus fort qu'il ne l'était réellement. Gabriel sentit le traverser une violente envie de lui planter sa fourchette dans son énorme patte sale et de lui faire voir des étoiles en lui cassant le nez d'un coup de tête. Il l'aurait achevé à la manière du Lord Orange. Mais il ne mena pas à terme ses projets, se contenta de les imaginer un instant, avant de s'en retourner à Elise, dont les joues s'étaient empourprées. Elle jouait mieux que lui. Il en avait toujours été ainsi. Même enfant, il était celui qui subissait ses moqueries, ses commentaires, sa plus qu'indifférence surtout, sans dire un mot, ou presque. C'est à peine s'il ne la remerciait pas, quand elle se riait de lui, pour ces quelques secondes d'attention, même mal intentionnées. Et voilà qu'aujourd'hui, il se découvrait aussi incapable qu'il l'avait été depuis son enfance à croiser le fer avec Elise. Il redoutait la force de ses mots, la force des sentiments de frustration qu'il avait accumulés et entassés depuis tout ce temps. Il ne souhaitait plus l'effrayer. L'épisode dans sa chambre, avec le poignard, avait été la dernière fois, s'était-il convaincu. Pour rien au monde voulait-il qu'elle en vienne à le considérer comme un homme violent. Seulement, entre cet homme trop homme et le prince qui chassait les papillons, il n'arrivait à trouver sa place, comme si un juste milieu n'aurait jamais existé.

Elle avait raison, se dit-il en portant son regard sur elle. Gabriel avait du mal à voir autre chose qu'elle, à ce moment, comme si l'auberge et ses occupants étaient devenus muets et s'amalgamaient en une large ombre qui les entourait. Elise avait raison, elle était la perfection. Elle et son entêtement, elle et son orgueil, elle et son effronterie incarnaient la perfection. Une image lui vint en tête à cette pensée. Son Elise telle qu'il l'avait rêvée, lascivement étendue dans la piscine de macarons qu'il fera remplir en son honneur, en guise de remerciement pour ne pas s'être enlevée la vie plutôt que de l'avoir épousé. Il sourit ironiquement en se redressant, portant son verre à ses lèvres, car il espérait que le vin emporte sur son passage les obscénités qui avaient pris d'assaut son esprit. Mais cela ne fit que les nourrir et les rendre plus claires et prenantes. Elise, aussi légère qu'elle l'était à présent, ses longues boucles blondes encerclant son visage, couchée sur mille couleurs, ses bras blancs, fins, reposant en croix de chaque côté de son corps. Un corps dévoilé de ses interminables épaisseurs de soie, un corps doux, opalin, mais chaud. Ses jambes fines aux courbes délicates l'une contre l'autre, les hanches en cœur et la taille appelant les mains, le ventre comme un désert sur lequel il ferait bon semer quelques fleurs, quelques baisers égarés en quête d'un oasis. Il regarda sa bouche.

Et brusquement, le décor reprit vie. Les verres s'embrassaient en des tintements métalliques, les voix fusaient de tous bords tous côtés, les rires avec. L'odeur de la sueur, de la viande, le ramena à ses sens et à ses membres ensommeillés par l'alcool qui coulait dans ses veines. Gabriel passa une main sur son visage et se frotta les yeux. Le voyage avait été long, et soudain, il se sentit terriblement distant de ce monde auquel il avait tant voulu se fondre. On parlait de poules, autour de lui, puis bien vite le sujet dévia vers les coqs, et les combats dans lesquels l'on confrontait les pauvres bêtes. Gabriel n'avait plus d'idées, plus d'histoires, et surtout plus envie d'ajouter quoi que ce soit. L'ours aux yeux doux dévorait Elise du regard en lui bafouillant un poème. Il l'envia, le molosse, même si le texte en question était pathétique. Au moins, lui, il osait.

D'un coup il se leva, mais sentit ses jambes ramollir sous son poids. Le garçon assis à côté de lui le saisit par le bras et plaqua une main solide dans son dos. Se ressaisissant, Gabriel se redressa, les paumes à plat de chaque côté de son assiette, nuque fléchie. Il maintint ses paupières closes un moment, sourcils froncés, puis se détacha de la table en rouvrant les yeux. Il chercha l'aubergiste ou sa femme du regard, mais rencontra le sourire en coin de Carmen. Ne se supportant plus, dans ce bar où Elise avait monté sur le trône à sa place, il décida de s'en aller. Son voisin de siège se leva pour le laisser passer.

« Nous... devons partir tôt, demain. Él... Et voilà. Je vais me coucher. »

Le chaton sous le bras, il monta l'escalier menant à l'étage des chambres et se retrouva rapidement dans un couloir aussi sombre que silencieux. Les voix des fêtards ne parvenaient qu'indistinctement, comme un faible et lointain bourdonnement. Sous son pas, les planches gémirent et, une main contre le mur, il avança sans savoir où aller, traînant des pieds.

« Vous oubliez votre poule... »

Le ton moqueur, la voix chaude, le froissement de la robe, le claquement des talons... Et les doigts qui lui empoignèrent l'épaule sans douceur, le plaquèrent contre une porte. Corset tomba par terre et fuit plus loin dans le couloir.

« À cette heure, elles ne sont plus de service mais... Ça peut s'arranger. »

Sa bouche rouge étirée en un malicieux sourire, ses yeux noirs rivés aux siens, son souffle se rapprochant de son visage, sa main appuyée contre son torse, l'autre ayant trouvé le creux de son dos. Et lui, Gabriel, qui ne pouvait plus reculer, muet, ravalant avec peine les mots qui lui entravaient la gorge. Il serrait les pans de son pantalon, figé, entrouvrait vainement les lèvres. Le parfum épicé de Carmen le submergeant soudain alors qu'elle se rapprocha le fit lever la tête, comme pour en éviter l'attrait, mais elle profita de ce recul pour appuyer un baiser au creux de son cou, et prétendit le mordre. Lâchant l'étoffe de son vêtement, Gabriel repoussa vivement la serveuse en la tenant par les bras. Elle fit la moue.

« Vous n'êtes pas réellement frère et sœur, pas vrai? »

Il croisa ses bras et haussa les épaules, évitant la regarder en face. Et elle rangea ses mains dans les poches de son tablier. La tête inclinée sur le côté, Carmen retrouva son air espiègle. Elle le jaugea de haut en bas.

« Dommage... »

Elle tourna les talons et s'en alla vers l'escalier d'un bon pas.

« Chambre quatre. »

Puis à nouveau ce silence maquillé d'une trame de fond. Il sembla à Gabriel que toutes traces d'ivresse s'en étaient allées. Il se sentait l'esprit à vif et attentif aux moindres stimuli. Plus que jamais, il aurait souhaité se trouver dans sa chambre au palais ou, à tout le moins, entouré d'une garde, coiffé comme un Gabriel, de sorte que cette femme ne se serait jamais approchée de cette façon, et de sorte qu'Elise n'aurait pu tirer son compte de la situation dans laquelle ils s'étaient trouvés quelques minutes plus tôt. De sorte qu'on les aurait isolés du reste du monde, comme toujours.
Posant la main sur la poignée de la porte sur laquelle était peint un chiffre noir, un quatre, il s'en voulut. Pour bien des choses, dont les dernières pensées qu'il venait d'avoir. Trop se complaire dans sa condition de prince, d'individu issu de la royauté, l'éloignerait du peuple et en ferait un roi insensible et détesté. Il devrait, au contraire, profiter de cette expérience pour mieux comprendre le peuple afin d'arriver à mieux agir, à mieux le servir. Le peuple sert son roi et le roi sert son peuple. L'équation était simple. Il suffisait de ne pas l'égarer en cours de route.

Il pénétra dans la pièce, le chat à ses trousses. On avait allumé une chandelle, sur une petite table de chevet qui séparait les deux lits jumeaux. Et devant l'unique et modeste fenêtre dépourvue de rideaux se trouvait un secrétaire. Les murs avaient la couleur des planches qui les avaient faits, le reste était terne, comme les couvertures de laines, beiges, qui recouvraient les matelas. Leurs bagages étaient posés au pied de leurs lits et Gabriel y joignit sa veste, ainsi que ses bottes et sa ceinture chargée de ses armes. Déboutonnant sa chemise, il se munit du chandelier et l'apporta sur la petite table. Il abaissa la tablette et trouva à l'intérieur du meuble de vieilles feuilles jaunies.
Après avoir laissé tomber ses chaussettes sur son bagage, il sortit d'un sac un boitier de velours noir, qu'il amena avec lui vers le secrétaire. Il s'assit et saisit, de son étui, un joli stylographe à plume métallique. Avant d'écrire quoi que ce soit, il songea à Elise. Était-il prudent, de la laisser seule? Puis il songea à cette bonne Janine et à son généreux mari, et à Carmen, qui savait, pour eux. À ces pensées il posa l'extrémité de la plume sur le papier.

Citation :
Ce que vous appellerez ma fuite n'en est point une. J'embrasse, pour la toute première fois, mes responsabilités en tant que votre fils. Je fais de moi le défenseur et digne représentant des miens. J'agis. Et je constate, de mes propres yeux. Je juge, de mon discernement, ce qu'il en est de ce conflit. J'en tirerai mes conclusions et saurai alors le bien-fondé des actions qui furent portées au vu des circonstances actuelles. Alors seulement me trouverai-je en mesure de proposer quelque solution. Car je ne crois pas plus en vos mots qu'en ceux des hommes qui vous les soufflent à l'oreille. Si la voie que j'ai choisie n'apparaît pas des plus simples, elle n'en est pas moins la plus juste.

Il lâcha la plume et s'adossa lourdement au dossier de la chaise en portant ses mains derrière sa tête. C'était un bon début. Même que cela résumait très bien l'ensemble de sa pensée. S'accoudant sur la tablette, Gabriel tendit l'oreille. Corset s'était couché sur l'un des lits. Le regard du prince passa du chat à la porte, qu'il avait laissée entrouverte. Reprenant le chandelier, il se leva et alla le poser sur la table où il l'avait prise. Il avait cru entendre les planches se plaindre et craignit devoir affronter Elise. Sa simple vue tout comme les commentaires qu'elle partagerait sûrement sans se gêner. Alors il se glissa sous les draps après avoir laissé tomber sa chemise sur le sol, le ventre contre le matelas, et prit soin d'écarter les jambes afin de ne pas déranger Corset. Confortablement installé, enserrant son oreiller, le côté du visage appuyé dedans, il ferma les yeux – un peu durement – pour feindre le sommeil et, lorsqu'il pensa à aller ranger sa missive, il était trop tard, la porte avait grincé.

[si ça peut t'arranger, à toi de voir si Gabriel écrit rapidement ou pas... elephant]
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