Le pays d'Ingary
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

Le pays d'Ingary


 
AccueilRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
Le deal à ne pas rater :
Jeux, jouets et Lego : le deuxième à -50% (large sélection)
Voir le deal

 

 La raison du plus fort est toujours la meilleure

Aller en bas 
2 participants
AuteurMessage
Elise de la Marquise
Future reine d'Ingary
Elise de la Marquise


Nombre de messages : 85
Date d'inscription : 28/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeSam 3 Juil - 1:13

Le retour à Magnecour avait été des plus pénibles. Une fois dans la voiture, Elise s’était plongée dans la contemplation du paysage, une main accoudée à la fenêtre, absente. Les babillements de sa mère, en bruit de fond, l’empêchait de réfléchir, alors elle avait mis de côté sa confrontation avec Gabriel, n’ayant pas le recul nécessaire pour analyser la situation. Elle se laissait bercer alors, acquiesçant régulièrement, distraite, pour satisfaire sa tendre mère.

Une fois arrivée en sa demeure, dans sa tête raisonnant encore à la fois les paroles de sa mère et celles de Gabriel, Elise sauta de la calèche, courut jusqu’au château des de la Marquise. Elle monta les escaliers, ses talons claquant sèchement le sol, pour ensuite se jeter sans grâce sur son lit et s’enfoncer dans les épaisses couvertures dans un gémissement de douleur. Que cela cesse, que les voix cessent, que son esprit puisse faire le vide :

Boum.

-Oh ! Ma fille, ne vous adressez pas au comte Arnoux, Madame de Marelle m’a raconté qu’il avait une liaison licencieuse avec l’une de ses domestiques ! Mon dieu, la noblesse devient vraiment décadente !

Boum.

-Pourquoi avoir occulté cette lettre? Parce qu’elle n’était rien de moins que le fruit de l’esprit d’un adolescent naïf et insensé.

Boum.

-Le service à thé du palais royal est divin. Si raffiné, si délicat. Elise ma chère, une fois reine, il vous faudra nous en offrir !

Boum.

- Mais sachez qu'à vous dire ce que vous souhaitez m'entendre vous révéler, vous ne gagnerez rien. Au contraire... Et ne pourrez éviter la défaite. Une longue... Irréversible... défaite. Car il vous sera impossible de plus ne voir en moi que le prince auquel l'on vous a enchaînée de force, mais peut-être bien votre seul et... véritable allié...

Boum.

-La vicomtesse de Restaud nous invite demain, à l’heure du thé. Cette dame est absolument charmante, quelle tristesse que ses trois jeunes filles soient d’une telle laideur. Quel malheur et quelle honte de ne pas être mariée à cet âge !

Boum.

- Je comptais... Mon idée était de me rendre à Ys. Il me semble que ce soit une étape essentielle, afin que nous puissions nous expliquer de vive voix avec le roi. Cependant, d'après le Conseil, ce n'est pas nécessaire, puisqu'une enquête approfondie aurait été complétée dans le but de retrouver le prince et donc que nous n'avons aucune explication à fournir au roi d'Ys, concernant la disparition de son fils.

Boum.

-Elise mon enfant, vous ne devinerez jamais ! Le roi lui-même à fait un compliment sur votre toilette ! Il vous faut satisfaire votre futur époux Elise, rien n’est encore gagné, soyez a ses petits soins, faites en sorte de vous soumettre un peu plus à lui, comme toute bonne épouse se doit de le faire !

Boum.

- Voyez quelle grande reine vous ferez, Elise.

Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum.Boum. Boum. Boum. Boum. Boum.Boum. Boum. Boum. Boum. Boum.Boum. Boum. Boum. Boum. Boum.

Il semblait à Elise que son cœur battait frénétiquement, mais qu’il ne se trouvait plus dans sa poitrine mais plutôt sous ses tempes douloureuses, qu’elle frottait, espérant effacer ce mal. Au bout d’un temps, alors qu’elle apercevait Morphée, les yeux clos, qu’elle allait l’étreindre et se plonger dans un sommeil salvateur, un grand fracas retentit dans le couloir.

Se levant subitement, Elise, jura silencieusement, bougonna, mais tendit l’oreille pour comprendre l’origine de ce bruit.

-Rosette, je sais bien que vous êtes nouvelle en tant que domestique dans cette demeure, mais je vous en prie, laissez chez vous cette maladresse effroyable ! Ce vase appartenait à la famille depuis des générations et coutait bien plus cher que tout ce que votre très nombreuse famille mange en cinquante ans !

-Oui, Madame. Pardon, Madame.

-Grand Dieu ! Il est si tard ! Retirez vous, lorsque vous aurez fini de nettoyer vos bêtises.

Elise bondit de son lit, les yeux écarquillés, totalement éveillée. Elle était en retard, terriblement en retard et elle se doutait que Gabriel en profiterait pour partir avant, si elle n’arrivait pas à temps au rendez-vous ! La jeune femme se précipita vers sa penderie, l’ouvrant en grand. Il n’était pas question de s’incommoder de belles robes en dentelle, ces dernières ne feraient que jouer en sa défaveur : elles conforteraient Gabriel dans son idée qu’Elise n’était qu’une jeune femme précieuse, elles l’empêcheraient de se mouvoir facilement, de pouvoir se battre et surtout, elles ne rendraient pas leur voyage des plus aisés. Il fallait qu’ils soient discrets et lorsque qu’une jeune fille de la noblesse se déplaçait, elle était ,bon gré mal gré, tout sauf discrète !

N’appelant pas la domestique pour l’aider à faire ses valises, de peur que celle-ci ne parle à sa mère, Elise attrapa la malle qu’elle jugea comme étant la plus petite et fourra à l’intérieur, avec désordre, ses affaires : les robes de Maria, celles que n’importe quelle femme du peuple porterait, quelques chemises et pantalons d’homme qu’elle avait empruntés en douce à son ami, Laurent, le fils du jardiner, prévoyant que ceci lui servirait tôt ou tard, puis quelques papiers et de l’encre. Le reste n’avait pas d’importance, une fois à Ys, son futur époux pourra toujours lui acheter de quoi se vêtir décemment lorsqu’elle devra l’accompagner pour parler au roi.

Elle n’osait se changer dès à présent et jugea qu’il serait préférable de le faire une fois arrivée auprès du prince.

Elle attrapa sa malle, qui n’avait jamais été aussi légère, puis ouvrit sa fenêtre pour la jeter. Le petit coffre tomba dans un bruit sourd, abimant les rosiers en fleurs. Laurent l’aiderait à s’enfuir avec la valise, elle avait confiance en lui, il saurait se taire, jusqu’à ce qu’elle soit assez loin pour que la fureur de ses parents ne l’atteigne pas…Enfin surtout la fureur paternelle, son père qui craignait tant pour elle. Quant à sa mère, Elise se doutait que cette dernière ne verrait en cette escapade qu’un moyen pour sa fille, de garder un peu plus dans ses filets, l’innocent Gabriel.

Une fois sur son bureau, elle attrapa une plume et écrit une brève missive à l’adresse de ses parents, qu’elle déposa sur son lit : aucune information essentielle ne serait dévoilée juste le fait qu’elle demeurait quelques temps avec son futur époux, sans que sa pudeur n’en soit atteinte.

Elise avait une corde qui lui servait à descendre par sa fenêtre lorsqu’il était trop risqué de passer par la porte d’entrée ou que le manteau nocturne ne pouvait la protéger. La jeune femme enjamba la fenêtre, pestant contre sa robe à crinoline qui n’était guère faite pour ce genre d’escapade. Accrochée à cette corde, descendant lentement, la peur du vide refaisant, comme a chaque fois, surface, Elise gémit et prit appui de ses pieds sur le mur de pierre. La descente serait douloureuse…Qu’est ce qu’il ne fallait pas qu’un sujet face pour son roi.

[Prince Gabriel, en espérant que vous puissiez être à armes égales. pirat ]
Revenir en haut Aller en bas
Gabriel de Guerry
Prince d'Ingary
Gabriel de Guerry


Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 19/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeMar 6 Juil - 0:25

Adam était plus doué que lui, pour faire les bagages. Soigneusement, il avait retiré à peu près tous les effets que l'aîné mettait dans son sac au fur et à mesure qu'il le faisait, pour les remplacer. D'abord, constatant le manège de son frère, Gabriel lui avait demandé pourquoi il refaisait tout dans son dos, et le jeune prince avait répondu, amusé, de ce ton calme qu'il adoptait en toutes circonstances, que pour ce type de voyage, l'on n'avait pas besoin de cartes du ciel, ni de livre sur les oiseaux, ou d'une roche, aussi jolie puisse-t-elle être. Adam s'en était, sur ce, remit à son réaménagement de la sacoche de cuir, imperturbable. Gabriel n'avait plus insisté et s'était contenté de soumettre chacune de ses sélections au jugement de son cadet. Finalement, ils étaient, plus ou moins ensemble, venus à bout des préparations. Ou presque.

« Bon ça va maintenant, retire ta veste et ta chemise, Gabriel, que je te refasse ton bandage. Tu es tout crispé. »

Il avait bien tenté, en réponse à cette démonstration de perspicacité du jeune homme, un bête « Quel bandage? », mais une fois de plus, il avait cédé, et Adam l'avait soigné, avec ses doigts habiles et sa méticulosité d'artiste. Il lui avait indiqué une autre chemise, puis remit sa veste sur les épaules et enfin, avait refait le nœud dans ses cheveux, plus serré. Gabriel avait grimacé.

« Mange quelque chose, aussi, avant de quitter. Un repas copieux, avec de la viande, des légumes... Et boit beaucoup. De l'eau. Tu as la tête de quelqu'un qui devrait prendre quelques jours pour se reposer. »

Des fois, on croirait entendre la reine, dans les mots d'Adam, songea l'héritier en prenant son sac sur son épaule. Il ouvrit la porte et suivit son musicien après avoir refermé. La chambre avait été remise en ordre, jamais l'on aurait pu croire que le sang y avait coulé plus tôt.

« Adam... tu crois que c'est une bonne idée? »
« Oui. Et cesse d'en douter, ça te nuira. Tu ne te vois pas, Gabriel, quand tu te regardes dans la glace. Tu n'es pas aussi dépourvu que tu le crois, au contraire mais... souriant, il poursuivit, cesse donc de laisser Elise t'enfoncer la tête dans tes doutes et tes incertitudes. Elle se joue de toi, petit frère, et j'avoue qu'à sa place, j'aurais peine à résister, moi aussi.. »
« C'est toi le petit frère. »
« Maman t'as pas dit? Quand ils ont vu que tu étais le plus bête de nous deux, ils nous ont échangés. »
« Menteur. »
« Même pas. C'est vrai. Tu demanderas à maman quand tu reviendras »
« Inutile, Adam de Guerry. T'es qu'un petit frère et ça t'arrange bien, avoue-le, petit poète... »
« Petit poète? Mais arrête, ce n'est pas moi qui rêvasse des journées entières en dessinant des machines impossibles, Gabriel Alexandre Cyprien Patati Patata de Guerry... »

Et cetera.
La conversation se poursuivit jusque dans la salle à dîner, où Gabriel engloutit une assiette débordante de bonnes et odorantes choses sous l'œil satisfait de son frère. Puis ils vaquèrent, dans un salon. Gabriel somnola dans un fauteuil et Adam lu, près de deux heures, avant d'annoncer qu'il était temps de partir. Il piétinèrent sur place un moment, comme deux gamins timides, puis le plus jeune des deux cassa le malaise en serrant l'autre dans ses bras.

Le cheval de Gabriel n'avait rien de glorieux. Pour un cheval de prince, disons. Sa robe était alezane et il était de modeste grandeur. Grand, certes, mais... de modeste grandeur. Mais vif! Ah ça, pour être vif, cet étalon avait du caractère qui lui fumait par les naseaux et Gabriel l'avait choisi, plutôt que le beau poulain noir jais, racé, que lui avait présenté son père. Il avait pointé du doigt ce petit diable qui mordait autant sinon plus qu'il levait le derrière pour jeter sur les fesses quiconque osait trop s'en approcher. Gabriel avait pleuré, puis retenu ses larmes souvent, et finalement, il était venu à bout de l'animal, à force de patience et... de macarons.

Excitée à l'idée de sortir, la monture du prince tambourina de ses sabots contre les planches de bois à la vue de son cavalier. Gabriel le libéra de son compartiment et il détala dans l'écurie, droit vers la sortie qui menait au champ. Le roi avait toujours désapprouvé cette façon de faire un peu... originale, mais c'était le seul moyen. Et puis en vérité, c'était plutôt drôle, de voir Rouge (c'était son surnom, son nom complet étant Duc Rouge de ModesteVille, une plaisanterie à la Tristan, signée Gabriel, pourtant) galoper dans le crépuscule comme si ses ailes allaient se tendre et qu'il décollerait droit vers l'horizon.
Au bout de quelques minutes, que le prince passa accoudé contre la clôture du grand enclos, le cheval revint vers l'homme, et avala les carrés de sucre qu'on lui tendait. Cette fois c'était bon. L'étalon fut sellé, bridé et chargé du bagage (modeste, lui aussi) ainsi que de son protecteur. Ils s'éloignèrent de la barrière puis, un coup de talon fit détaler le cheval et il bondit par-dessus les planches, s'engagea sur le sentier, par la campagne, qui menait à Magnecour.

S'il n'arrivait pas à temps, il la croiserait sans doute en route, se dit Gabriel. Elise, les poches pleines de macarons. Il devrait retenir Rouge pour ne pas qu'il lui arrache sa robe. Il sourit, comme un gamin, et rit même, tout seul dans le noir, en rebondissant maladroitement sur le dos du cheval. Ah non, rectifia mentalement Gabriel, il ne retiendrait pas le Duc, et rirait d'Elise découverte dans ses lambeaux de robes, puis il tomberait évanoui, trop d'émotion.
Soudain il retrouva son sérieux, inquiet. Enfin un peu. Elise, sans sa robe, sur un lit de macarons multicolores. Cette vision lui sembla à la fois sublime et terrible, comme s'évanouir. Ou comme une crise du cœur, supposa-t-il. Il se vit, à leur nuit de noces, lui demandant, timide, d'avoir l'amabilité de se dévêtir et de s'étendre sur la piscine de macarons qu'il aurait fait aménager à cet effet, en lui précisant, bien entendu, qu'en échange, elle pourrait les avaler tous, ces macarons. Accepterait-elle?
Il se surprit à véritablement se le demander, et arriva, au même moment, devant la demeure des de la Marquise. Un valet se chargea de son cheval, non pas sans échapper quelques vilains mots en se dirigeant vers l'écurie, et Gabriel... Gabriel cogna à la porte.

On lui ouvrit, mais il n'entra pas, se pencha plutôt vers l'arrière.

« Vous avez entendu? » demanda-t-il au domestique, qui lui répondit à la négative.

Le prince fit volte-face, et courut pour contourner la grosse maison. Il contourna la grosse maison fort rapidement, et trouva, derrière elle, une grosse robe aux jupons déployés. Il rougit, détourna le regard bien qu'il n'y eut rien à voir, avec tous ces jupons, justement... Elise était tombée. Et un jeune homme les rejoignit au pas de course, le jardinier. Il tenta d'aider la jeune femme à se relever, la prenant par la taille et par la main, mais ce ne fut pas une bonne idée.

« Son poignet... » lâcha le prince d'un ton peu sûr.

On ne l'entendit pas. Le domestique les avait rejoint, puis retournait à la hâte dans la demeure, tandis que le jardinier tentait de savoir à quel point son Elise était abîmée. Gabriel se racla la gorge.

« Son poignet doit être... »
« Quoi? »

Depuis quand engagea-t-on des jardiniers sourds! Depuis que les fleurs sont muettes, peut-être... Et depuis quand les princes marmonnent-t-ils? Depuis qu'ils n'ont rien à dire. Très bien. Gabriel s'approcha, sans regarder Elise dans les yeux, s'accroupit à ses côtés et éleva quelque peu son bras droit, ses mains glissées en dessous.

« Il faut faire une attelle. »
« Elise! Mon enfant! Mais que s'est-il passé! Mais... Mais... Le prince! Que... Je... »

Pauvre dame toute en émoi. Gabriel profita de cet instant de confusion pour attraper Elise dans ses bras et réprima la douleur qui risqua percer sur son visage en se dépêchant de retourner à l'entrée, suivi bientôt de la mère de la blessée, et peut-être du jardinier, il ne prit pas la peine de vérifier. Il se permit d'entrer, et de poser son fardeau qui sentait bon sur un canapé, et de s'éloigner, comme pour souffler, une main sur la hanche. Il revint cependant à la mère d'Elise sans tarder.

« Vous avez de quoi faire une attelle? »

Évidemment.
Revenir en haut Aller en bas
Elise de la Marquise
Future reine d'Ingary
Elise de la Marquise


Nombre de messages : 85
Date d'inscription : 28/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeMar 6 Juil - 19:49

Sa corde de fortune lui brulant les doigts et ses talons glissant sur les pierres policées, Elise songea qu’il y avait un temps pour tout et que malheureusement, l’époque où, vêtue et coiffée comme une sauvageonne, elle descendait de sa fenêtre, agile et téméraire, était révolue.

Il lui sembla qu’à quelques mètres du sol, coincé, il était bon de méditer, faute de pouvoir trouver un moyen d’échapper à cette situation…rocambolesque. La gravité la rattraperait et à moins que Jacob ne l’aperçoive et vienne à son secours, elle tomberait tête la première dans les rosiers de sa mère, les effluves parfumant son corps, bien qu’elle préférât un moyen moins fantasque pour sentir bon.

Avant que ses pensées ne dérivent et s’envolent au pays des macarons, elle s’attaqua à Gabriel, sa cible préférée, son souffre douleur personnel. Tantôt jurant, tantôt boudant, Elise promettait à voix haute, à Gabriel, tout en tournoyant accrochée à sa corde, mille supplices et une malédiction qui frapperait sept générations de petits princes d’Ingary, s’il partait sans elle.

Ses mains rougies et douloureuses par les frottements de la corde, lâchèrent et Elise, loin de prendre son envole dans un monde bleuté et nébuleux, chuta comme un sac, sans grâce et légèreté.

Un cris aigu lui échappa, suivit d’un gémissement de douleur. Elle ouvrit les yeux et fut éblouie par ces teintes : le pourpre, l’abricot, le rose pâle, le jaune non pas citronné mais profond, presque orangé et tout cela engourdissait ses sens, assaillait son odorat, la rendait presque fiévreuse.

Combien de temps resta-elle ainsi ? Le nez dans les roses, les jupons au vent. Elise n’osa faire un état des lieux. Elle sentait les épines des rosiers attaquer sa peau, malmener la soie de robe, arracher les rubans à ses cheveux et libérer les plumes d’un camaïeu de roses des pinces fragiles. Soudainement deux mains l’attrapèrent par la taille et la soulevèrent, comme une poupée de chiffons. Un bras s’enroula sur son poignet et elle retint un hoquet de douleur et s’échappa vivement de cette pression sur son poignet.

« Son poignet... »

Elle entendit deux voix graves, l’une qu’elle reconnut comme celle de Jacob et qui l’entourait de toute son affection et une autre qu’elle percevait ponctuellement, trop ponctuellement pour que dans son état, elle puisse la reconnaitre. La main calleuse de Jacob vint épouser la courbe de sa joue et le jardinier murmura, angoissé :

« Petite peste, il y a longtemps que tu n’avais pas fait des tiennes, j’attendais ta prochaine bêtise. Comme toujours tu te surpasses. On dirait une sauvageonne. Les rosiers de ta mère sont coriaces, tu déclareras forfait avant eux…Une égratignure sur la joue, une vilaine attaque d’un rosier sanguinaire sur l’épaule, il faudra nettoyer le sang, la plaie risque de s’infecter. Tu vas avoir des ecchymoses partout ma grande, mais heureusement, tes jupons ont amorti la chute…Il me semble que c’est tout. Tu t’en tires plutôt bien. »

« Son poignet doit être... »

« Quoi? »

Son poignet la brulait, elle le sentait gonfler, mais encore hébétée, elle se tut, observant ce qui l’entourait d’un air agar. Elle sentit quelqu’un d’autre s’approcher, l’autre voix sans doute, puis se pencher vers elle et soutenir d’un bras frais, le sien en feu. Elle soupira, soulagée et osa poser un œil sur son poignet. Elle se passa de commenter : les douleurs intérieures reflétaient l’aspect extérieur.

« Il faut faire une attelle. »

« Elise! Mon enfant! Mais que s'est-il passé! Mais... Mais... Le prince! Que... Je... »

Cette voix désagréable eut l’unique utilité de sortir Elise de sa léthargie. La jeune femme eut tôt fait de sortir de son rêve éveillé qu’elle se sentit soulevée du sol, et atterrir non pas dans un cocon chaud, doux et protecteur mais dans des bras rigides et tout sauf confortables. Elle se sentit ballottée, mais put s’écrier d’une voix tremblotante, à sa mère :

« Je vais bien, mère, quelques égratignures. »

Elle sentit qu’on entrait dans la maison, qu’on passait le hall d’entrée et qu’on atteignait la salle de séjour, pour la déposer sur une ottomane.

« Vous avez de quoi faire une attelle? »

Ignorant celui dont elle avait deviné la voix et les mains, et sa mère, elle préféra se concentrer sur Jacob, son dévoué Jacob. Ce dernier s’approcha près du canapé, sourit à Elise en enlevant de ses cheveux, les quelques pétales et feuilles qu’elle avait arrachés sur son passage.

« On va te soigner. »

« Madame De la Marquise ! Madame de la Marquise. J’ai entendu des cris. Allez vous bien ? »

Elise releva vivement la tête vers l’entrée, apercevant son père ainsi que son ami Monsieur De Fleury. Elle rougit de honte, ses joues prirent une jolie couleur macaron à la framboise et elle fut tenter de cacher son visage derrière Jacob, qui se moquait de ses veines tentatives pour disparaitre dans un trou de souris.

Sa mère se précipita vers les deux arrivants, expliquant son incompréhension face à la chute d’Elise, brassant de l’air de ses bras peu efféminés, devant les hommes qui tournaient d’un doigt distrait leur moustache respective, circonspects.

« Jacob, je te présente mon prince. Gabriel, voici Jacob, l’être qui m’est le plus cher en ce monde. »

Elise allait mieux, reprenait vigueur et Jacob en riait sous cape, scrutant celui qui avait droit aux mots doux d’Elise. Pour rien au monde le jardinier n’aurait échangé sa place avec Gabriel, qu’il devinait véritablement épris de la jeune femme. Elise était aveugle et têtue, Gabriel trop prévoyant et maladroit, quel beau couple ils faisaient !

La colère, la logique et la séduction n’avait pas atteint Gabriel, qu’en serait-il de la jalousie ? Rongeait-elle autant le cœur que ce qu’en disaient les romans ? Elle se servait de Jacob, mais elle ne disait pas qu’un mensonge, Jacob était son ami le plus proche, le compagnon de jeu de la petite Elise.

D’autres pas se firent entendre et les trois fils de Monsieur Fleury apparurent. On leur conta de nouveau la mésaventure d’Elise. John, Justin et Julien, dont les prénoms devaient absolument commencer par la lettre « P » , s’approchèrent d’Elise et s’enquirent de sa santé. Avant qu’elle n’ait pu demander à ce qu’on lui face une attelle, sa mère répondit :

« Ne vous inquiétez pas. Une fois qu’elle aura mangé des macarons, elle reprendra des couleurs. Je vais vous raconter une petite anecdote sur Elise dès plus amusantes… »

« Mère, n’ennuyez pas nos invités avec… »

« Mon enfant, laisse moi un peu les divertir. Je disais... Alors qu’Elise était une enfant, elle pleurait et vint auprès de sa gouvernante pour que cette dernière la réconforte. Celle-ci essayant de trouver les mots lui lança : « dans la vie il n’y a pas que des problèmes, il y a aussi des… » »

« Solutions… »

« Exactement mon cher Monsieur de Fleury, voilà la réponse qu’Elise aurait du dire. Mais la gourmande s’écria : « macarons ! ». Un canasson ne suivrait pas sa carotte avec autant d’ardeur qu’Elise un macaron. »

« Merci, mère, pour cette comparaison très appropriée. »

Son poignet posé sur l’accoudoir et sa tête sur un coussin, Elise ne ressentait presque plus aucune douleur, trop agacée pour cela. Sa mère n’était pas sortable. Elle lui faisait honte devant Monsieur de Fleury et Gabriel.

« Mon cher, prince, nous vous remercions infiniment d’avoir sauvé notre petite Elise. Désirez-vous une tasse de thé, des macarons ? Ou autre chose peut-être ? Elise remercie donc ton sauveur. Mon prince, qu’aurait-il pu arriver si vous n’aviez pas pris soin d’elle à temps ? »

« Jacob l’aurait fait, comme a son habitude. »

« Mademoiselle Elise, souhaitez-vous que nous appelions un médecin ? » demanda John, un de ses nombreux soupirants et sur lequel elle n’avait jamais jeté un œil.

« Nous pourrions rester auprès de vous, pendant votre convalescence. Afin que vous ayez un peu de compagnie. » Reprit son jeune frère, Julien.

Elise leur sourit, affable, bouillonnant dans son for intérieur : pourquoi pensaient-ils qu’un simple poignet en mauvais état ferait d’elle une assistée ? Cela ne l’empêcherait certainement pas de courir par monts et pas vaux et encore moins de suivre Gabriel. Elle devait lui faire comprendre qu’en la laissant ici, en l’empêchant de partir avec lui, contre son gré, elle serait un petit agneau au milieu des lions, charmée par leurs touchantes tentatives de séduction. Il fallait qu’il pense que loin d’elle son imagination le pousserait à songer aux pires scénarios qui puissent arriver dans lesquels Elise serait éprise d’un autre.
Attrapant du bout des doigts un macaron au chocolat, Elise répondit aux attentes des deux jeunes hommes :

« En effet, que pourrais-je faire, seule, ici, sans vous. Il vous faut me divertir. Connaissez-vous le jeu Colin-Maillard ? »

Les yeux pétillants, la tête légèrement penchée vers John, Elise espéra que ses airs de sauvageonne donnaient un air de feu-follet à sa personne, au lieu de l’enlaidir. Elle devait le séduire et Gabriel devait le remarquer. Devant le hochement de tête négatif des jeunes hommes, elle poursuivit :

« Le chasseur, les yeux bandés, doit attraper l’un des autres joueurs. Celui-ci qui est attrapé devient chasseur à son tour. Cela vous tente-il ? »

Elle espéra que Gabriel y verrait le double sens. En effet, tous les jeunes gens avaient compris que ce n’était pas le jeu qui devait séduire les Fleury, mais Elise elle-même.
Gabriel laisserait-il sa douce Elise dont il se disait amoureux, entre les mains ô combien tendres et protectrices de ces trois soupirants ?

Elise mordit dans son macaron, fermant les yeux pour mieux savourer.
Revenir en haut Aller en bas
Gabriel de Guerry
Prince d'Ingary
Gabriel de Guerry


Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 19/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeMer 7 Juil - 2:00

On va te soigner, disait-il. On comme dans « Pas moi mais, elle, ou alors lui, ou l'autre, là... ». On comme dans « Je suis hystérique! Oh! La robe de ma fille! Oh! Mes invités! Oh! Mon corset est trop serré, je manque d'air sous ma perruque! » ou encore, on comme dans « Hmm... Ma fille est tombée, semble-t-il... Hmm... soit. » ou plutôt « Hmm... Je connais trop bien ma fille pour m'inquiéter de si peu. » Quelle importance. Gabriel s'efforçait de demeurer à l'abri sous son casque de chevalier. Son casque tout en impassibilité forcée. Il se mordait la lèvre du bas, de l'intérieur, comme pour faire passer son impatience. Heureusement, une domestique lui revint rapidement avec tout le nécessaire pour faire une attelle (il tenait à son attelle), et de quoi nettoyer les plaies d'Elise. Mais Gabriel ne vit que les plaquettes de bois et les bandages, et sourit presque de les voir, les yeux brillants. En voilà, de beaux jouets. Ne faisant guère attention à ce qui se disait dans son dos, et hochant brièvement la tête à la présentation du jardinier, sans pour autant la lever vers lui, il s'accroupit au chevet du bras d'Elise et entreprit, avec une minutieuse concentration, de lui élaborer une attelle solide et confortable.

Pour les trois petites noblesses qui les rejoignirent, il n'eut à peine l'once d'un regard. Ces trois-là, ses frères et lui avaient souvent songé à la meilleure manière de les faire souffrir, juste pour voir. Gabriel leur avait promis que quand il deviendrait roi, il testerait des nouveaux moyens de torture, sur eux, en leur expliquant qu'ils ne faisaient que remplir leur devoir de sujets. Les de Guerry n'avaient aucune raison particulière de leur vouloir du mal, sinon qu'ils étaient trois, qu'ils étaient frères, et que le précepteur des jeunes princes les avait trop souvent pris en exemple. Voyez comme les trois petits de Fleury se tiennent bien... Voyez comme ils ne se chamaillent pas, entre eux. Et à Will, à ces mots, de tuer Gabriel pour la trois-cent-dix-septième fois (au moins) avec son épée de bois. T'es mow' Gab'yel!

« Mon cher prince... [...] »

Gabriel leva les yeux, mais les rabaissa pour terminer de fixer l'attelle avec le bandage. Il n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche qu'Elise répondait pour lui en ramenant ce fichu jardinier sourd et impotent. Et puis l'autre, John, ce même pas prince, ne voyait-il pas le beau travail que Gabriel faisait! Et... et toute la douceur que la vieille domestique qui œuvrait à ses côtés mettait à nettoyer les égratignures de sa protégée! Il y avait déjà un sourd, et voilà que s'amenait l'aveugle. Sans parler du petit frère, pas plus éclairé que le reste de sa famille, à l'entendre parler. Il n'était pas question de convalescence, allons donc, une Elise, ça se remet d'un petit poignet tordu et de quelques caresses de rosier en moins de deux... Gabriel dut chasser le sourire acerbe qui lui avait tiré les lèvres, et l'esquisse de rire, qui pourrait passer pour un toussotement, qui lui avait secoué les épaules. Il espéra qu'Elise s'étouffe avec son macaron, puis il regretta avoir eut une telle pensée, car s'il fallait qu'elle s'étouffe, plus que la moitié des gens présents lui sauterait dessus pour lui extirper la chose du gosier, forcément, tous aussi dévoués qu'ils étaient. Qu'ils lui lèchent donc les pieds, un coup parti.

Il noua le bandage, termina ainsi l'attelle. Un truc franchement correct, une réussite. Même que cela vaudrait la peine de demander à Elise si elle voulait bien se couper le bras, pour qu'il puisse le ramener chez lui. Un bras en moins, un bras en plus... À voir ceux de sa mère, elle gagnerait à se débarrasser d'un avant d'être vieille.

« En effet, que pourrais-je faire, seule, ici, sans vous. Il vous faut me divertir. Connaissez-vous le jeu Colin-Maillard ? »

Ce jeu pour enfants débiles? Oui. Gabriel avait toujours hait ce jeu, presque autant que le trio fleuri. Avec Tristan ils avaient inventé une nouvelle version. Plutôt que d'attraper quelqu'un, il fallait lui envoyer un coup sur les tibias.
Il se leva, sa tâche terminée, et remercia d'un sourire discret la domestique de l'avoir aidé à s'occuper de l'ingrate qui lui torturait la vie à chaque seconde. Il croisa ses bras, haussa un sourcil en fixant, l'un à la suite de l'autre, ses ennemis d'enfance. Bien que jamais ils ne surent qu'ils portaient se titre. C'est que quand tout le monde nous aime soi-disant, il faut bien s'inventer un méchant... (En plus du diable, dit « Elise »)

« Le chasseur, les yeux bandés, doit attraper l’un des autres joueurs. Celui-ci qui est attrapé devient chasseur à son tour. Cela vous tente-il ? »

Quelle surprise, les vaillants jeunes hommes acquiescèrent, et de concert, en plus. Gabriel, lui, ne cilla pas. Tiqua, plutôt, de la paupière droite, comme un fou. Il eut le sentiment que le jardinier l'avait vu, aussi prit-il soin de ne pas croiser son regard qu'il sentait cloué sur lui. Et le pire, c'est que quelque chose lui disait que ce regard lui souriait, ou se moquait.
Par là, juste devant en fait, l'on commençait à s'agiter en vue du jeu qui se préparait. On cherchait un foulard, pour cacher les yeux du chasseur. On se demandait qui allait être le premier chasseur, on s'enchantait à l'idée d'attraper Elise, probablement. Et Gabriel serrait ses côtes en rentrant les épaules, nuque fléchie.
Il manqua sursauter en voyant apparaître le jardinier devant lui, devant la scène à laquelle il avait l'impression d'assister et non pas de participer. Ils étaient les comédiens et lui était un accessoiriste, soignant à heures perdues. Le jardinier, Jacob, le gentil Jacob, tenait une bande de tissu dans ses mains. Pendant que les trois louveteaux s'émerveillaient à l'idée de tout casser dans la maison, les pères s'étaient éclipsés pour aller fumer un cigare, et madame de la Marquise les suivait en leur offrant de quoi boire ou manger, accompagnée de sa domestique. Gabriel était pris avec les jeunes gens et, malgré lui, il les rejoignit, sans se presser, enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon.

« Vous connaissez Tristan Voll- »

Il n'eut même pas le temps d'achever de prononcer le nom du vaurien que déjà l'on acquiesçait vivement de le connaître. Mais oui! Tristan! Ha ha! Tristan! Tristan, Tristan!

« Et bien, il avait inventé une version différente du jeu. Plutôt que d'attraper les gens, pour désigner le prochain chasseur, nous devions les cogner. »
« Les cogner? »

Non, les tuer.
Sceptiques? Allons donc, n'était-ce pas l'idée de ce charmant Tristan... Gabriel ne se laissa pas démonter de suite, s'improvisa un ton léger, comme si cela allait de soit...

« Oui, les frapper. Avec les pieds, les poings... »
« Avec les poings!? »

Mais quoi! Gabriel se tut. Ces garçons n'avaient vraiment rien à voir avec ses garçons à lui au royaume. Son Adam et son William, son William, surtout, n'avait pas peur de faire pleurer qui que ce soit. Même pas une de la Marquise. Pas plus la fille que la mère, gageons. Cela dit, avec ses histoires de poings, il avait fait tomber un silence, que le jardinier brisa, en lui passant le foulard sur le front. Il secoua la tête en signe de négation, écarquillant les yeux. Il n'en voulait pas. Mais lorsqu'il porta ses mains à son visage, il était déjà trop tard. Il était aveugle, lui aussi.
Une main l'entraîna... quelque part.

« Jouons au jardin! »

L'odeur de la rose, l'odeur de la rose, il ne fallait pas perdre l'odeur de la rose et du macaron au chocolat. Mais les odeurs étaient trop nombreuses, à l'extérieur, et l'assaillirent de plein fouet. Il manqua en perdre pied. Heureusement on le tint par les épaules, juste avant, hélas, de littéralement l'envoyer en orbite. On le fit tourner, et tourner, et tourner sur lui-même comme une toupie puis on l'abandonna dans le rire et le son du gravier remué par les pas qui s'éloignèrent de lui. Il vacilla, tituba, puis retrouva son équilibre et tendit l'oreille comme un chat prêt à bondir sur une souris qui se cache dans son trou. Et il huma l'air qui lui entrait par les narines, le fouillant à la recherche de la rose au chocolat, tournoyant lentement sur place. Il tendit un bras, fit un pas, sentit que l'on s'écarta, et bondit à droite mais manqua son coup. Il ne laissa pas le temps à la souris d'aller bien loin, par contre, et ne la lâcha que lorsqu'il eut son poignet en main. Il n'avait pas attrapé sa souris, mais plutôt un rat, ce qui ne l'empêcha pas de sourire, se prenant au jeu, un instant. Il plaqua sa main sur la joue de sa prise un peu plus durement qu'anticipé. Une joue bien charnue.

« Ah je sais! C'est la grosse Julienne! »

...

Ces silences, vraiment.
Et ce malaise, en plus.
Gabriel releva vivement le bandeau sur son front, faisant dresser ses mèches noires vers les étoiles et découvrant sa tête rougie de gêne. La grosse Julienne, enfin Julien, semblait déconcerté, embarrassé, chagriné, et tenta tout de même de sourire à son prince.

Pense Tristan, Gabriel. Pense Tristan.

« Ne... Ne m'appelez-vous pas... Sa grosse Majesté, entre vous? Ou... Gabriel sans cervelle? Ou... Ou le... le prince qui... qui... qui... »

Pince? Grince? Coince les pauvres rats innocents dans les coins? Plus jamais il ne leur attribuerait des surnoms en se moquant, avec William et Adam.

« Ce n'est rien, mon prince... »
« Non... Non je suis... Je suis... Pardon, Julien. »
« Bon aller, à toi Julien! » fit le grand frère en prenant son cadet par les épaules.

Gabriel, toujours embarrassé, ne vit pas les regards des deux frères s'élever avec insistance vers son front, mais le jardinier vint à sa rescousse et lança une bande de tissu au prochain chasseur, la grosse Julienne. On la fit tourner sur elle-même, pendant que Gabriel fixait le sol, avec son toupet dans les airs, en attendant que sa mère vienne le prendre pour le ramener à la maison.
Revenir en haut Aller en bas
Elise de la Marquise
Future reine d'Ingary
Elise de la Marquise


Nombre de messages : 85
Date d'inscription : 28/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeMar 13 Juil - 3:29

Elle était lourde, l'empêchait de manger et surtout de savourer son macaron. C'était une sorte de corset du poignet qui lui donnait des airs de marionnette trop humanisée. Elise grimaça à son attelle, lui faisant clairement comprendre qu'elle ne l'aimait pas. Elle lui montrait toute l’animosité qu’elle éprouvait et surtout lui faire assimiler le fait qu'entre elles, le climat demeurerait polaire jusqu’à ce qu’elle en soit débarrassée. La jeune femme murmura du bout des lèvres des remerciements à l'adresse de Gabriel, à la fois fâchée qu'il n'ait pas réagi comme elle le désirait lorsqu’elle avait parlé et agréablement surprise que quelqu'un ait daigné s'occuper d'elle.

Elise se détourna de Gabriel, se doutant qu'il n'avait peut-être pas entendu ses paroles mais John, si. Suspendu aux lèvres de la jeune De la Marquise, il affichait une mine boudeuse qui avait dû séduire de nombreuses jeunes filles. Elise resta hermétique.

"Un foulard, il nous faut une foulard en soie!" s'écria Julien, ravi de jouer à son jeu favori et surtout ravi que Mademoiselle Elise joue avec eux.

"Peut-être pourrions-nous jouer un jour où je serais plus en forme?" demanda Elise stupéfaite de voir son propre piège, tendu à Gabriel, se retourne contre elle. Cruelle Ironie, cette dame la avait vraiment le chic pour s’attaquer à Elise.

Personne ne l'écouta, les trois jeunes De Fleury babillaient, courraient dans tous les sens, s'extasiaient devant les différents foulards apportés par Jacob, choisirent le rose, celui qui était de la même couleur que la robe d'Elise, jouaient à pierre-feuille-ciseaux pour savoir lequel serait le premier chasseur. Jacob, trancha:

"L'honneur doit revenir au prince."

Elise sursauta et échangea un regard surpris avec Justin De Fleury. Elle n'eut pas le temps d'arrêter cette mascarade que Gabriel était enchainé à son foulard, brassant l'air autour de lui pour trouver un guide. Julien aida la blessée à se relever et John lui tendit le bras, pour que son attelle ne la pèse pas trop.

« Jouons au jardin! »

Médusée, Elise se fit docile et suivit la petite troupe. Elle lança un regard implorant à Jacob qui suivait à quelques pas d'elle, toujours veillant à sa princesse personnelle, ce qui fit Elise reporter son attention sur sa calamité personnelle. Gabriel se prêtait au jeu, se dirigeant vers le jardin, guidé par un Justin frétillant et sautillant. La jeune femme sentait un mal de tête poindre, elle qui avait l'habitude de vivre dans un univers plutôt stable, rassurant, qui maitrisait les situations et les individus se retrouvait totalement dépassée. Dépassée par ces trois paons qui ne cessaient de faire la roue, par ce Gabriel qui avait tout oublié, la guerre, leur voyage, le poignard, la lettre, l'attelle, Ys, le Conseil, Elise...

Alors que Gabriel tournait sur lui-même, jusqu’en étourdir Elise, à quelques mètres du chasseur, la jeune femme revint quelques années plus tôt, alors qu’elle-même virevoltait et que sa jupe déchirée frôlait les graviers et soulevait la poussière du sol, en épais nuages. De ses sept ans, le jardin du Palais Royal lui paraissait démesuré, presque effrayant. Les rires des autres enfants faisaient écho au sien et offraient aux oreilles des grands, une musique innocente.

Elise, cette fois, ne jouait plus à Colin-maillard, mais à Cache-cache et elle devait chasser ses compères, tous plus habilles les uns que les autres à se dissimuler dans l’immensité du parc.

« Vingt-cinq. Vingt-six. Vingt-sept. Vingt-huit. Vingt-neuf. TRENTE ! »

Sa gouvernante lui lança un regard réprobateur, l’incitant à se taire pour ne pas déranger les quelques adultes qui s’étaient détournés de leur conversation en l’entendant, mais elle en avait cure.

Elle s’élança à la recherche d’une victime, d’un autre enfant à trouver. Elle détestait ce jeu. Elle le haïssait et avait envie de pleurer. On l’avait forcée, parce qu’elle était la seule à pas avoir été chasseur au moins une fois et maintenant elle devait les retrouver. Mais elle avait peur, elle ne savait pas où elle était. Et si elle tombait sur un méchant, un loup ? Jacob, il lui avait dit que les fleurs du roi, elles étaient carnivores, elles mangeaient les petites filles. Il avait aussi dit que les enfants qui habitaient chez le roi, ils étaient des ogres déguisés et qu’ils étaient hautains et que jamais ils seraient les amis d’Elise.

Jacob était l’unique gentille personne du monde.

Son souffle s’accélérait, le château était encore visible, mais les rires, les chocs des verres en cristal, les aboiements des chiens, les violons ne l’atteignaient plus. Seuls ses pas, foulant le chemin terreux, lui permettaient de se rassurer. Elle courrait, écoutait, ouvrait grand les yeux, imitait la voix d’autres enfants, mais il n’y avait plus l’ombre d’une âme à berner, pas l’ombre d’une âme qui vive. Les pins âgés de plusieurs siècles créaient un labyrinthe, masquaient le château, perdant un peu plus Elise.

Cette dernière paniquée, en larme, ne vit qu’à la dernière minute la grosse tortue qui reposait sur son chemin. Voulant l’éviter, Elise fit un mauvais pas et chuta. Elle tombait depuis qu’elle savait marcher, c’était le destin d’Elise. Elle s’érafla le genou et une teinte vermeille le colora. Ses mains étaient dans le même état et Elise écarquilla les yeux. Elle avait mal, ça la piquait et elle était couverte de poussière, sans compter qu’elle était seule.

Comme pour contredire ses paroles, un cri retenti, des pas s’approchèrent, une voix enfantine se fit entendre. Elle aperçut un garçon un peu plus grand qu’elle, avec des jolis cheveux longs et ébènes et un air inquiet sur le visage, qui tenait la tortue, tout aussi blanche de poussière qu’Elise, mais moins traumatisée. Il la caressait doucement, comme pour la rassurer et elle se rappela l’avoir vu près du roi, ce drôle de garçon.

Se concentrant de nouveau sur son propre malheur, Elise voulut se relever et fuir, mais ses jambes refusaient d’obéir. Elle avait peur : l’enfant à la tortue, il devait être un méchant ogre, hautain qui détestait les filles et qui devait en faire des macarons. Des macarons de petites filles. Des macarons d’Elise. Cette dernière, tremblotante, faisait l’autruche, refusant de croiser le regard de ce monstre, priant pour que Jacob la sauve, sur son destrier d’argent.

« Je suis désolé d’avoir laissé trainer ma tortue. »

Elise releva vivement la tête, surprise par ce ton penaud et cette main tendue. Hésitante, elle fixa l’inconnu. Faute d’avoir un autre sauveur et refusant de froisser l’ogre, elle accepta cette aide. Il la tint contre lui et l’aida à épousseter sa robe. Et Elise pleurait toujours.

« C’est des égratignures. Tu as très mal ? »

Elise hocha la tête et se mordait la lèvre pour arrêter de pleurer et faire sa courageuse, comme Jacob lui avait appris. Elle se demanda si cracher impressionnerait l’inconnu mais se ravisa, peut-être qu’il prendrait son geste comme un affront et l’attaquerait ?

« Tu connais le bisou magique ? Il soigne les blessures. Ma maman, elle m’a toujours soigné comme ca. Tu veux que j’essaie pour voir si sur toi ca marche aussi ? »

Elle hocha de nouveau la tête, après un moment d’hésitation. Sa maman à elle, elle n’était pas comme ca. Le soit disant monstre déposa un baiser, léger, sur sa paume et sur ses genoux et Elise trouva, que quand même, ce bisou magique, c’est vrai qu’il enlevait la douleur.

« Mademoiselle Elise, cessez de rêvasser, Julien va vous attraper ! » chuchota John à son oreille et la tirant vers lui.

Elise sursauta et chancela. Elle venait de faire face à une Elise qu’elle avait oubliée, une enfant qui avait peur, qui était dans l’insécurité et dont elle s’était éloignée pour se protéger. Se souvenir faisait mal.

Elise se dégagea et s’exclama :

« Je n’ai plus envie de jouer à colin-maillard. Jouons plutôt à cache-cache. Bien que les jardins des De la Marquise ne soient pas aussi beaux que les vôtres, nous pouvons tout de même nous amuser. Julien, vous continuez d’être le chasseur, enlevez ce ruban, fermez les yeux et comptez jusqu’à trente ! »

Avant même qu’un des quatre hommes ait pu répliquer, elle s’enfuit, en clopinant, d’une façon peu gracieuse, jusqu’à ce qu’elle soit cachée par les arbres. Elle avait une idée. Faute de n’avoir pu manipuler le Gabriel adulte, elle toucherait le Gabriel enfant, celui qui semblait habiter le prince, là, où elle n’avait cru y avoir que de la glace.
Revenir en haut Aller en bas
Gabriel de Guerry
Prince d'Ingary
Gabriel de Guerry


Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 19/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeMar 20 Juil - 4:34

Madame la reine ne vint pas. C'est qu'il aurait dû lui dire, aussi, où il allait, avant de quitter. Il n'y avait pas pensé. Mère, je pars chez Elise. Pourriez-vous venir me chercher, un peu plus tard? Elle serait venue. Mais voilà, il était trop tard. La prochaine fois, il y penserait. Gabriel dut donc se résoudre à relever le menton, un peu. Il trouva d'ailleurs que l'horizon était plus clair, plus vaste qu'à l'accoutumée, mais il ne songea pas au bandeau qui lui dégageait le front des cheveux qui, d'habitude, se libéraient de leur ruban.
Elise courait, enfin, quelque chose comme ça, et vers quelque part, qui plus est. Il nota alors que Julien le fleuri comptait. Il en était à sept secondes. Non, huit. Et s'arrêterait à trente, se souvint-il. Comme à cache-cache, parce que c'est ce à quoi ils jouaient, tous, forcément. D'où la fuite d'Elise. Ah... Bien sur... Bouge, Gabriel, bouge!
Il soupira d'abord, regarda autour de lui, n'arrivant pas à se décider sur la voie à emprunter pour disparaître, et donc opta pour un chemin déjà foulé. Il suivit les pas d'Elise, ou marcha plutôt carrément dessus. Autrement il ne se serait pas rendu à temps.

« Trente! »

Elle s'était bien cachée, quand même, mais il l'avait trouvée, dans ce colloque d'arbres privé. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien se dire? Il se le demanda, n'osant pas de suite prononcer mot, pour ne pas briser cet échange de silence entre feuillus. Elle était là, derrière l'un d'eux, dans sa robe et son attelle qui tenait toujours très bien. Le prince s'en félicita mentalement, et joignit ses mains devant lui, se broya les doigts en approchant d'un pas hésitant vers Elise. Il alla pour se racler la gorge, pour gagner encore une seconde, mais se dit qu'en de telles circonstances, cela n'était pas une bonne idée. Pour ça, Gabriel avait appris de ses erreurs de jeunesses. Quand on joue à cache-cache, on ne ronchonne pas à haute voix, on ne chante pas des comptines et on ne parle pas aux oiseaux dans les buissons, parce que sinon, on perd. Il avait encore bien des erreurs à faire, mais celles-là, au moins, étaient rayées de son interminable liste. Aussi Gabriel chuchota-t-il, se penchant quelque peu vers Elise et, lui concédant un regard, par la même occasion. Il le regretta, car il ne sut baisser les yeux, une fois rivés aux siens, et son ton ne se fit en rien aussi sûr et éloquent qu'il l'avait prévu.

« Êtes-vous prête, Elise? Pour partir, je veux dire... Votre malle est toujours dans les rosiers, n'est-ce pas? »

Il n'avait pas oublié. Gabriel oublie peu de choses. En tous cas, de toutes les choses dont il se souvient, il n'en a pas oubliées! … Il n'avait pas oublié, entre autres, la malle que madame de la Marquise n'avait heureusement pas vue, ni le fait qu'ils devaient partir pour Ys.

« Je ne suis toujours pas d'accord avec l'idée que vous veniez, mais puisque vous semblez y tenir... » qu'il reprit, parvenant enfin à détourner le regard.

Il se redressa, passa ses mains crispées dans son dos, les renoua aussi solidement et fit mine d'admirer le feuillage des arbres un moment, profitant surtout la largeur du panorama. Comment cela se faisait-il qu'il n'avait pas remarqué plus tôt? Peu importe. Il appréciait, désormais. Sans quitter des yeux le grand vert et le grand bleu, il éleva la voix, sans vraiment l'élever, à l'adresse d'Elise, bien entendu. Les arbres n'avaient que faire de ses plans et, il ne leur en voulait pas, au contraire, et les comprenait.

« Et nous ne serons que tous les deux. En cas de besoin nous pourrons toujours camoufler notre identité et... je n'ai pas parlé au roi. » qu'il marmonna en lâchant ses pauvres doigts, pour les cacher dans ses poches en haussant les épaules, et en regardant ailleurs.

Le roi se demanderait pourquoi il n'était pas venu au rendez-vous qu'ils s'étaient fixés, en plus de se demander pourquoi il était parti sans l'avertir. Son Gabriel qui la veille était le plus obéissant des princes, le plus sage, devenait tout d'un coup, en l'espace d'une nuit, un garnement. Un fugueur, un voleur de fierté de père. Mais il ne fallait pas trop s'y arrêter. Et puis dans les faits, Gabriel avait un peu oublié le roi. C'était la faute d'Adam. Il l'avait distrait et au moment de la rencontre, l'aîné avait simplement continué d'ignorer l'heure.

« Alors, Elise... Si vous comptez toujours m'accompagner, je propose que l'on se retrouve aux écuries. Vous n'avez qu'à prendre vos affaires... Votre jardinier... Jacques, vous viendra sans doute en aide. » conclut le prince en croisant, coup de vent, les yeux de sa compagne de jeu. Plus pour très longtemps, cela dit.

Le jardinier s'appelait Jacob, mais quelle importance.
Gabriel, quitta le colloque et fut repéré par Julien, mais ne s'en soucia pas, n'ayant pour le jeune homme qu'un bref et indifférent regard. Car voilà que le prince n'avait que faire de ce que les fleuris pensaient de lui, et de ce que madame et monsieur de la Marquise diraient en le découvrant parti avec leur fille unique. Il s'était déjà assurée la déception de son père, pourquoi craindre l'étonnement des autres? Leur jugement était sans importance et ne l'empêcherait pas de monter sur le trône, car il s'y hisserait de force, s'il le fallait, sur ce maudit trône. Et la couronne, il l'arracherait des mains de son père, s'il hésitait à la lui rendre. Il réduirait à de moins que rien les vieux bourgeois qui polluaient l'air du Conseil, avec leurs haleines fétides et les relents de mort qui leur collaient à la peau.

L'écurie était déserte, outre les résidents permanents qui y logeaient et leur visiteur, le Duc Rouge de Modesteville, qui salua son cavalier d'un violent coup de sabots à la porte du box dans lequel on était parvenu à le pousser. On ne lui avait retiré que sa bride, la selle était toujours fixée à son dos, ainsi que les quelques bagages. Gabriel leva les yeux vers le ciel. Rouge et ses humeurs de petit étalon frustré... Il était arrivé que le prince se fâche contre les garçons d'écuries, ne comprenant pas pourquoi ils négligeaient toujours sa monture et pas celles du reste de la famille royale. Il en avait menacé quelques-uns de congédiement et même certain d'entre eux de l'enfermer avec les chevaux, sellé et bridé, toute une nuit. Le pauvre palefrenier lui avait alors avoué qu'ils étaient incapables d'amadouer l'animal et Gabriel, soudain amusé par la situation, leur avait confié le secret des macarons.

Cependant, si Rouge était prêt, le cheval d'Elise lui, ne l'était pas. Et duquel s'agissait-il? Il parcourut d'un pas rapide l'allée du bâtiment, regardant à droite, à gauche, à la recherche du bon destrier. C'est qu'ils devraient faire vite, une fois qu'Elise l'aurait rejoint. Gabriel n'avait pas la moindre envie de s'expliquer auprès des de la Marquise ou de qui que ce soit pour ce départ inattendu.
Il s'arrêta au tout dernier compartiment à droite. L'animal lui faisait dos et ne courba qu'un instant l'encolure pour lui jeter un regard, occupé à broyer une bouchée de foin. Gabriel ne retint pas son sourire et s'approcha jusqu'à appuyer son front sur les barreaux. Cette grande jument à la robe sombre ne provenait pas du haras de Kingsbury, de cela, Gabriel en avait toujours été sûr, et soupçonnait sa future épouse de monter un de ces diables noirs que domptaient les gitans. Cependant, la bête n'avait, d'un diable, que l'allure ténébreuse car, à l'insu de sa cavalière, elle et le prince avaient souvent, mais discrètement, eu leurs petits échanges. De sucres et de secrets.

Les deux chevaux prêts à partir, il laissa Rouge sortir et les devancer tandis qu'il tirait l'autre à l'extérieur. La nuit soufflait une brise fraîche, et la lune et ses étoiles veillaient comme des lampadaires. Gabriel ne doutait pas du chemin à emprunter. La campagne serait leur route, ils rejoindraient les landes, et poursuivraient jusqu'à ce pays voisin qui n'était pourtant pas si près.
Passant un bras dans les rênes du cheval d'Elise, Gabriel défit le nœud du ruban qui tenait ses cheveux et remarqua, finalement, le bandeau qu'il portait toujours sur son front. Il le serra sur son poignet et, moins habile que son frère et sa mère, remit son ruban en place, dans ses mèches noires, au niveau de sa nuque. Il dégagea sur le côté le fourreau de son épée et, d'un bond, monta sur le dos du Duc qui accueillit le geste comme le signal d'un départ imminent et se mit à piétiner sur place, impatient. Gabriel n'y porta pas attention, le regard rivé devant lui, guettant Elise, et une main serrée sur le cuir, prêt à rendre les rênes. Il redoutait de la voir arriver, comme s'il doutait encore que cela puisse être réel, lui, ici, à l'orée d'un voyage qui changerait le cours des choses, immanquablement. Il caressa distraitement l'encolure de sa monture, mais le cheval demeura tout aussi agité, comme s'il surveillait, lui aussi, la venue de la jeune femme. Loin, par contre, de la redouter.
Revenir en haut Aller en bas
Elise de la Marquise
Future reine d'Ingary
Elise de la Marquise


Nombre de messages : 85
Date d'inscription : 28/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeJeu 22 Juil - 4:05

Dans sa course, Elise se retourna. Elle avait perdu Gabriel entre deux arbres. Ah, le revoilà ! Elle retint un rire et poursuivit son chemin. Il la suivait. Elise seule savait où, mais il la suivait. La jeune femme ne s’attarda pas longtemps sur la silhouette déterminée du prince, désireuse de comprendre le mystère qu’il représentait par elle-même, loin des De Fleury qui à force de prévenance, devenaient irritant.
Elise attrapa d’une main ses jupons qui trainaient et courut encore plus vite, s’échinant à trouver la parfaite cachette, loin des trois De Fleury lui contaient fleurette.

Là ! Elle aperçut l’abri qu’avait construite Jacob, alors qu’Elise pleurait de ne jamais trouver de bonne cachette lorsqu’elle jouait avec ses amis. Voilà bien longtemps qu’elle ne s’était pas réfugiée au creux de leurs racines, le souffle court, l’oreille tendue, accompagnée de son ombre silencieuse. Elle attrapa le tronc d’un arbre et se tourna vers le bruit, alors que les souliers de Gabriel crissaient sur le gravier. Il ne manquait plus qu’un personnage pour que la scène qui se déroulait quelques années plus tôt se reproduise : la tortue. Pauvre tortue. Elise n’avait jamais su si elle avait survécu à son tête à tête ou plutôt son carapace à séant avec la jeune femme.
Soudain, le retour à la réalité se fit brutalement, par la fin d’un décompte. Le sourire aux lèvres, Elise scruta le prince tout en chuchotant ce que Julian disait tout haut :

« Trente ! »

Il ne croise pas son regard, mais personne n’aurait pu arrêter ce prince entêté. Il avançait, les yeux rivés sur ses doigts tant tortillés qu’ils en paraissaient désarticulés. Et Elise reprit une attitude plus réservée, presque froide. L’idée d’être hautaine avec Gabriel l’effleura, mais ce moyen de défense ne ferait qu’envenimer la situation. En effet, ce dernier était plus enfant qu’homme et lorsqu’on agit de façon méprisante avec un enfant, celui-ci oublie les bonnes manières et se bat pour obtenir ce qu’il veut que ce soit d’une manière détournée ou non. Elise ne pouvait plus se permettre le traitement de « faveur » qu’elle accordait à Gabriel. Jusqu’à ce qu’ils soient sur les chemins pour rejoindre le pays d’Ys, elle devrait être un peu plus conciliante, sans non plus qu’elle se fasse marcher sur les pieds.

Une fois proche d’elle, mais assez loin pour que les règles de la bienséance ne soient pas bafouées, le regard de Gabriel croisa le sien. Incertitude et Résolution. Elise n’aurait su discerner de quel côté le cœur du prince penchait, elle ne savait pas non plus à qui elle avait affaire. Quel Gabriel se trouvait en face d’elle : le prince rêveur? le futur roi ? le petit garçon à la tortue ? le combattant qui subissait les coups de couteaux ? l’amoureux transi protecteur de sa dulcinée ?

« Êtes-vous prête, Elise? Pour partir, je veux dire... Votre malle est toujours dans les rosiers, n'est-ce pas? »

Déconcertée. Elise chancela. De ses feuilles, l’arbre la rattrapa et elle l’en remercia, du moins, par la pensée. Les Gabriels se confondaient, c’était pire que ce qu’elle avait redouté ! Elle retint une réplique cinglante, qui aurait sans doute fait mouche. Elle qui se sentait d’attaque pour une petite joute verbale, devait freiner ses élans, de peur que le futur roi ne se vexe et lui donne le rôle d’assistante à la cour, à la place de celui d’actrice principale au pays d’Ys. Elle songea alors à ce qu’elle aurait pu dire, imaginant le geste de dédain qui suivrait ses paroles :

« En effet, elle doit vous attendre avec impatience. Allez donc me la chercher, nous gagnerons du temps. Et ne la faite pas tomber, des affaires bien plus précieuses que l’être insignifiant que vous êtes se trouvent à l’intérieur ! »

Elise rit sous cape. Gabriel se mettrait volontiers en quatre pour l’aider, elle en mettrait sa main à couper…Ou peut-être bien son bras à fouler. Elle risquerait moins, dans le cas où le pari serait vraiment valable.

Elle se contenta sagement de répondre :

« Vous avez pris la bonne décision en acceptant de me faire voyager avec vous. Ma valise est déjà prête à retrouver les chemins de campagne. »

« Je ne suis toujours pas d'accord avec l'idée que vous veniez, mais puisque vous semblez y tenir... »

Il détourna son regard, mais elle n’en avait cure, seule lui importait sa victoire. Elle partirait ! Tout son être exultait. Jamais Gabriel n’oserait revenir sur sa parole et la jeune femme se voyait déjà sur les chemins, à vivre comme ces femmes gitanes qu’elle admirait tant et qui même avec la plus simple des toilettes, conservaient une élégance inégalable. Puis ensuite, elle s’imagina à la cours du roi d’Ys, aidant Gabriel pour convaincre le roi de l’innocence de son pays dans cette affaire et de leur volonté à retrouver le prince disparu.
Les mains jointes, les yeux brillants, Elise eut bien du mal à redescendre sur terre, aux côtés de Gabriel, dans le domaine des De la Marquise. Il ne fallait pas tarder, son futur époux pouvait changer d’avis. Gabriel reprit, élevant légèrement le ton, comme pour s’assurer que toutes les informations rentraient dans l’épais cerveau d’Elise :

« Et nous ne serons que tous les deux. En cas de besoin nous pourrons toujours camoufler notre identité et... je n'ai pas parlé au roi. »

Impassible, Gabriel expliquait à Elise, les conditions de leur voyage. Cette dernière ne put cacher son étonnement. Ainsi, aucuns gardes n’assuraient leur protection ? Certes la protection du couple royal contre les voleurs et autres bandits, mais aussi la protection des deux jeunes gens contre eux même. Elise pouvait dans un excès d’agacement étrangler Gabriel avec un ruban et de même Gabriel pourrait embrocher Elise avec un de ses poignards.
La jeune femme avait du mal à concevoir le fait qu’ils devraient se faire passer pour un couple s’ils croisaient quelqu’un, ce qui serait sans aucun doute le cas. Gabriel en mari viril et protecteur ? Elise en noble futile et amoureuse transie ? Ils feraient mieux d’inverser les personnages, le jeu d’acteur serait plus convainquant. Sans compter que les commérages de la cour ne seraient qu’à propos de leur disparition qui passerait pour une fuite d’amoureux refusant les responsabilités. Elise espérait de tout son cœur que la lettre adressée à ses parents, arriverait entre les mains des bons destinataires et parviendrait au roi. Dans le cas contraire, Gabriel et elle-même pourraient faire face à de nombreux ennuis en revenant.

« Alors, Elise... Si vous comptez toujours m'accompagner, je propose que l'on se retrouve aux écuries. Vous n'avez qu'à prendre vos affaires... Votre jardinier... Jacques, vous viendra sans doute en aide. »

Ahhhhhh ! Deuxième cri de victoire. Gabriel n’était pas aussi insensible qu’il prétendait l’être et s’il avait relativement bien caché sa jalousie, elle n’en restait pas moins présente, rongeant, rognant, le cœur du prétendant d’Elise. Ce n’était pas très malin de sa part que de faire exprès de se tromper de nom. Elise sourit, Jacob avait vraiment de quoi faire envier les autres paons qui faisaient la roue aux alentours. Même Gabriel ne pouvait cacher son antipathie pour lui. Mais Élise savait que même si Jacob était le dernier homme sur terre, elle ne pourrait l’épouser : on n’épouse pas sa meilleure amie.

Tiens, Gabriel était parti ! Elise ne s’en était pas rendu compte. Mais au château des De la Marquise, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, il est très difficile de se retrouver seul et de s’ennuyer. Ici la solitude est une affaire commune. Alors que les pas de Gabriel s’éloignaient, ceux d’un Julien, guilleret, se rapprochaient.

« Elise, Elise ! Ma chère, il me semble que vous êtes la seconde personne trouvée. Ce cher prince est parti, boudeur. Apparemment, monsieur est plutôt mauvais perdant. C’est à vous de devenir le chasseur. Comptez jusqu’à trente. Laissez-moi le temps de me cacher. »

« Oh ! Quelle mauvaise joueuse je fais ! Ne soyez pas trop dur avec moi Julien, je ne suis pas très douée aux jeux de stratégie comme celui-ci. Allez donc, je me retourne. Un. Deux. Trois. Quatre. »

Espérons pour eux, que les Fleury n’étaient pas pressés, peut-être qu’en revenant d’Ys, Elise, dans sa bonté d’âme, viendrait jouer les chasseurs et les récupérer des jardins…après de longues semaines d’absence.

« Cinq. Six. Sept. »

Dès que Julien eut disparu dans l’une des nombreuses allées, Elise fit de même. Elle retourna sous sa fenêtre, le lieu de l’accident, là où se trouvait sa valise. Elle n’avait compté qu’un temps, jusqu’à ce qu’elle se soit lassée de se jouer des trois prétendants. Ce subterfuge leur ferait gagner du temps, combien, elle n’en savait rien, mais surement assez pour partir. Une fois près des rosiers, Elise aperçut une personne allongée, une pâquerette entre les dents : Jacob. Tout sourire, les jambes croisées, il attendait la jeune femme. Celle-ci ne fut pas plus étonnée que cela, de le voir, près à l’aider.

« On se fait désirer ? » lâcha Jacob, en ouvrant les yeux et se relevant sur ses coudes.

« Il est vrai que j’aurais pu être plus rapide, mais un certain prince s’est fait désirer et par conséquent à modifié tout mon emploi du temps. »

« Quel est votre programme alors, votre altesse ? Vous partez avec votre cher et tendre ? Dans le cas où vous n’en feriez qu’à votre tête, j’ai cru bon de vous préparer ces tenues…plus appropriées. Rosette s’est portée volontaire pour vous assister dans votre tache.»

Le ton ironique était une façon de se protéger et Elise n’en tint pas rigueur à son ami, sachant qu’il lui avait pris cette manie. Jacob se releva et attrapa un paquet qu’il déposa dans les bras de Rosette, une servante du château amoureuse du jardinier. Elise jusqu’à présent n’avait pas vu la jeune femme, mais elle ne s’en formalisa pas, Rosette savait garder sa langue. Elle dévêtit Elise pour qu’elle puisse enfiler l’habit de voyage. A l’abri des rosiers, Jacob scrutant les jardins sans faire attention à son amie dénudée, la jeune femme ne fut pas une seconde gênée.

« As-tu enfin compris que je suis l’homme parfait et qu’aucun prince n’arrivera à ma cheville ? » reprit Jacob en se retournant pour apercevoir Elise, dans une robe et d’une cape, toutes deux bleues.

« Je comprends surtout qu’à ce stade, les tiennes enflent à vue d’œil. Tu devrais songer à consulter un médecin…Ne tardons pas. Jacob pourrais-tu porter ma valise jusqu’aux écuries ? »

« Oui, M’dame ! »

Ils échangèrent un sourire complice et Jacob salua Rosette d’un bref mouvement de tête, avant de prendre la valise d’une main et le bras valide d’Elise de l’autre. Bras dessus, bras dessous, les jeunes gens marchèrent en silence, le plus rapidement et discrètement possible, de peur qu’on ne perçoive la disparition du futur couple royal.
Une fois dans les écuries silencieuses, Jacob lâcha la valise qui tomba lourdement sur le sol. A quelques pas, Elise reconnut celui qu’elle devait détester peut-être autant que Gabriel (et ce n’était pas peu dire) : Rouge, le cheval de son futur époux. Ce même cheval qu’elle avait essayé de monter à l’insu de son maître et qui l’avait propulsée tête la première dans la boue. Depuis lorsqu’ils se croisaient, le premier s’ébrouait furieusement tandis que la deuxième grinçait des dents. Elise, qui se considérait en position de force, protégée par Jacob, elle, s’approcha légèrement de Rouge, la main valide sur la taille et s’exclama :

« Nous allons mettre les choses au clair tous les deux. Pour ce voyage, nous allons faire une trêve bien que tu ne m’aimes pas et je ne t’aime pas, moi non plus. Ton maître n’y changera rien, nous n’avons rien en commun mais nous allons tranquillement nous ignorer pendant un temps. »

La voix de Jacob vint interrompre son discours :

« Tu ne devrais pas le juger ainsi. On dit qu’il aime autant les macarons que toi. Et puis je trouve que vous avez un air de ressemblance, c’est peut-être dans les yeux. Tu dois vraiment être au gout du prince. »

« Jacob, sors avant que je ne te tire les cheveux, tu pleuras comme un bébé. »

Des rires lui répondirent et Elise se retrouva coincée dans une étreinte de fer. Elle repoussa la brute qui l’empêchait de respirer, tandis que la brute en question murmurait à son oreille :

« Bon voyage, ne torture pas trop notre prince préféré. »

« Ce n’est pas vraiment mon genre. Pour qui me prends-tu ? Je vais le dorloter ! »

Alors que Jacob s’éloignait, elle entendit de loin le jardinier s’écrier :

« Prends soin de toi, sauvageonne. »

Que Gabriel n’entende pas ces paroles ! Elise espéra que Gabriel n’était pas dans les écuries : entendre ce surnom briserait son image de jeune fille respectable. Puis elle songea, amusée, qu’elle n’aurait pas à prendre soin d’elle mais d’eux deux. Un couple d’éclopés, ils n’iraient pas bien loin ! Elle entendit du bruit et se tourna pour apercevoir Gabriel, aux côtés de Pissenlit sa jument, qui trottait, et n’était absolument pas dérangée par la présence du prince. Pourtant, cette fille-là était plutôt indomptable. Elise, qui s’était éloignée de Rouge en saluant Jacob, vit Gabriel monter sur son cheval. Elle s’approcha doucement de Gabriel et des deux chevaux et vint caresser l’encolure de Pissenlit. Cette dernière semblait aux anges et Elise préféra ne pas questionner Gabriel sur les raisons de la docilité plus que surprenante de son cheval.

« Pissenlit, une entraide entre filles sera nécessaire si nous voulons survivre à ce voyage. Tu devras créer des liens avec Rouge, parce que j’en suis incapable. »

Elise lança un regard à Gabriel, déjà sur Rouge, silencieux, droit comme un I, refusant de se tourner vers la jeune femme. Cette dernière attrapa les rênes de Pissenlit et s’exclama à l’adresse du prince :

« Vous n’allez pas éviter toute conversation entre nous, Gabriel. Ce serait ridicule. A moins que vous n’ayez changé d’avis et que vous ne vouliez plus de moi dans ce voyage. Dans ce cas cette attitude serait compréhensible, bien que je n’en aie cure. Je viens ! »

Elle se tourna vers les écuries et reprit :

« Et puis, il nous est impossible de partir sur un coup de tête, ainsi. Nous devons nous préparer, donc pour cela, nous allons tranquillement parler, dans les écuries. Nous ne risquerons pas d’être importunés par les De Fleury, qui montent comme des femmes. Sans leur faire offense. Et mes gens ne nous trahiront pas s’ils vous aperçoivent. Ils me sont plus fidèles qu’à ma mère. »

Jacob. Il lui manquerait.

« Je croyais que vous étiez l’intellectuel, réfléchi et logique et moi la téméraire dans l’histoire. Mais la vérité est tout autre. Avez-vous véritablement songé à ce que nous devrons dire si on nous arrête, ou si on nous reconnait, surtout vous qui êtes reconnaissable. Allons, descendez de ce cheval ! Et puis, qui m’aidera pour ma valise si vous ne le faites pas ? Dois-je vous rappeler que j’ai une attelle ? Votre propre travail ! »

Ils allaient s’asseoir dans l’écurie, à même le sol, s’il le fallait, mais tous les deux avaient à discuter, à fixer les règles du jeu avant de partir. Sinon Elise exploserait.

[Pete toi bien les yeux avec ce orange. Si y a un problème avec le message, dis le moi je le changerais.]
Revenir en haut Aller en bas
Gabriel de Guerry
Prince d'Ingary
Gabriel de Guerry


Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 19/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeSam 24 Juil - 4:27

Les talons des bottes du prince manquèrent tambouriner sur les flancs de Rouge à la vue d'Elise. Mais elle, au contraire du duo qu'il formait avec son cheval, ne se pressait pas. Pas même un peu. Aussi calme que sa Pissenlit, avec la tête bien froide, comme si on l'avait plongée dans un lac gelé. Gabriel ne comprenait plus. Ne devaient-ils pas partir?

« Je... Je... Je n'évite pas les... »

Elles retournaient aux écuries, elle et sa jolie robe bleue! Mais il lui avait sorti le bon cheval, ça, il en était plus que certain, et ils étaient prêts, enfin... Non? La route l'était, elle. Et la nuit aussi. Il fallait profiter de l'obscurité pour quitter les lieux habités et gagner les landes le plus rapidement possible. Ainsi raisonnait Gabriel, alors que son regard appelait tantôt le sentier, et interrogeait Elise la seconde suivante.

« Mais... Mais... »

Se préparer? À quoi? Ils avaient leurs bagages et pourraient toujours acheter le nécessaire en cours de route. Gabriel n'avait pas envie de parler. Il voulait du vent plein les oreilles et le martèlement des sabots de Rouge sur la terre. Rien que ça, pour les heures à venir. Il s'empêchait de penser plus loin, de penser à ce long voyage en unique compagnie d'Elise. Il ne voulait pas songer aux nuits, aux jours, aux repas, aux décisions, à tous ces détails techniques qui nécessiteraient une entente à chaque fois. Et pour parvenir à cette entente, il faudrait dialoguer. Baisser les yeux, regarder Elise, parler à Elise, écouter Elise, mais vraiment l'écouter, ne pas se contenter de regarder ses lèvres bouger en se demandant quel parfum de macaron elle préférait. Se concentrer sur la mission à accomplir, ne pas s'arrêter à tous les dix mètres pour cueillir de jolis cailloux. Ne pas ramener de tortue. Ou d'oiseau blessé. Ou de souris égarée. Ou de petit chat triste.
Il relâcha sa poigne sur les rênes et Rouge, trop attentif aux moindres gestes de son cavalier, interpréta cela comme une invitation au départ, mais Gabriel le retint juste à temps, freinant un peu brusquement les ardeurs de l'étalon qui, dans un excès de tempérament, se rua sur ses pattes arrières en hennissant. Pour une fois, Rouge sembla se ranger du côté d'Elise, car le prince descendit du cheval, tombant sur le dos. Mais c'en fut trop pour sa patience. Il se releva subitement et fit lever une volée de gravier en butant son pied au sol. Rouge partit au galop vers le champ, abandonnant son Gabriel derrière lui, qui rugit de colère en serrant les poings. Des flammes aux joues, le ruban dans ses cheveux ne tenant plus qu'à quelques mèches, le prince se retourna vers les écuries et s'y dirigea d'un pas rythmé par sa mauvaise humeur.

« Il me fait TOUJOURS le coup! » lâcha-t-il.

Il n'osa pas regarder Elise, ne tenant pas à voir le sourire moqueur qu'il lui supposait. Il se laissa lourdement tomber sur une botte de foin face à elle et souffla, tête basse. Évidemment, sa chute et sa colère ne lui avaient fait aucun bien. L'élancement dans sa hanche le reprit alors que l'adrénaline l'abandonnait. Retrouvant son calme, il se laissa tomber sur le dos, de côté, sur un lit de paille, porta machinalement une main à sa blessure et masqua son visage d'un bras.
Gabriel ne s'inquiétait pas pour Rouge. Il reviendrait, l'imbécile, en secouant sa grosse tête vide comme si de rien, l'air de lui dire : ben qu'est-ce que tu fais là, t'es pas sur mon dos?
Sale bête.

« De quoi donc souhaitez-vous parler qui ne peut attendre, Elise? Se plaint-t-il avec ennui. Plus vite nous partirons, moins nous risquerons d'être interceptés. Et puis, nous sommes prêts. Nous avons nos bagages, j'ai l'itinéraire en tête... Et... J'aurai amplement le temps de songer à ce que je dirai au roi d'Ys, en cours de route. Nous en avons pour des jours, à parcourir le pays. »

Sa respiration à nouveau régulière, il se redressa, prit appui sur ses genoux, dos courbé, les yeux rivés au sol.

« Pour ce qui est de me reconnaître, et bien, peu de temps après votre départ, plus tôt, mon frère et moi nous sommes occupés aux préparatifs du voyage et cela comprenait une visite au magicien royal... »

D'une pochette de cuir à sa ceinture, Gabriel sortit un flacon contenant un liquide jaune et lumineux. Suspicieux, lorsque le vieux le lui avait remis, son réflexe avait été de humer le contenu du récipient. Ne savait-on jamais, avec ces magiciens. Mais apparemment, la décoction avait été préparée à base de... pissenlits, entre autres choses. Il en expliqua les effets d'une voix basse, explicatif et plutôt pressé d'en finir avec cet entretien qu'il jugeait inutile.

« Chaque gorgée me raccourcira les cheveux et les rendra blonds pour quarante-huit heures. J'en ai pour un peu plus d'une semaine, ce qui devrait suffire. Je n'aurai qu'à changer de nom et pourrai même prétendre être votre frère, si vous me préférez ce rôle à celui de compagnon. »

Il rangea sa potion et se leva. Rouge revenait au trot, exactement comme Gabriel se l'était imaginé. Sans la regarder, le prince s'adressa à Elise d'un ton plus doux, réservé.

« Elise, nous visons un commun objectif, dans cette aventure, n'est-ce pas? Alors... Je ne vois aucune raison pour que cela ne se passe pas... relativement bien. Nous sommes alliés, à partir de maintenant, et... Je tâcherai de ne pas l'oublier, et de vous considérer tel qu'une partenaire et non un second. »

Rouge s'était arrêté à l'entrée de l'écurie et frappait du sabot. Gabriel tourna la tête, planta son regard aux yeux d'Elise, insistant.

« En revanche, j'en attends de même de votre part. Je ne suis pas dupe, et pas aussi bête que vous le croyez. »

Rêveur distrait à ses heures, mais pas idiot. Pas totalement. À tout le moins, pas encore.
S'activant, il attrapa la malle d'Elise et la fixa solidement à l'arrière de la selle de Pissenlit.

« Il vaudrait mieux partir, maintenant. Les De Fleury ne sont peut-être pas d'excellents cavaliers, mais je préfère tout de même éviter de les alerter et ainsi, de risquer en alerter d'autres plus tôt que nécessaire. Profitons de la nuit pour prendre de l'avance. Qu'en... Qu'en... il se racla la gorge, agita nerveusement les doigts de sa main droite, et enfin... Qu'en dites-vous, Elise? »

Il n'avait qu'envie de bondir sur son cheval et déguerpir en se disant qu'elle n'aurait qu'à le suivre, si elle tenait tant à venir. Il faut dire, aussi, que l'idée de troquer ses mèches noires pour des blondes, courtes qui plus est, ne l'enchantait guère et était responsable d'une bonne part de son inconfort généralisé.

« Vous... avez besoin d'aide, pour monter? »
Revenir en haut Aller en bas
Elise de la Marquise
Future reine d'Ingary
Elise de la Marquise


Nombre de messages : 85
Date d'inscription : 28/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeLun 26 Juil - 2:31

Elise explosa de rire. Un rire frais, ni moqueur, ni ironique ni encore faux. Un rire qui résonna aux alentours et auquel les rugissements de colère de Gabriel firent écho. Pour une fois, elle trouvait que Rouge servait à quelque chose : la faire rire. Elle n’avait jamais compris pourquoi Gabriel désirait si ardemment garder ce cheval qu’elle n’avait vraiment pas en haute estime : à présent elle comprenait. Qu’est ce qu’il était divertissant ! Et ce Gabriel, en colère, qui se renfrognait dans son coin. Cet enfant qui jouait l’homme, les gros durs en piétinant le sol et qui créait un nuage de poussière autour d’eux, donnant une légère teinte cendrée à ses cheveux jusqu’alors de jais. Elle ne parvenait vraiment pas à le considérer comme un homme et encore moins comme un soupirant. Non, ce gamin avec ses cheveux en bataille, sa cape de travers, sa moue boudeuse, avait du travail à faire sur lui-même avant de pouvoir prétendre au trône et pouvoir être pris au sérieux par toute la société, à commencer par sa future épouse. Pour l’instant, elle n’aurait pour rien au monde misé sur lui qui était lunatique, puéril et rêveur. Elle avait bon espoir de l’éduquer un peu pendant leur voyage.

« Il me fait TOUJOURS le coup! » lâcha-t-il.

« Si tu cesses de bouder et que tu es sage, je te donnerai un macaron mon petit Gaby. » murmura Elise, toujours moqueuse.

Prenant garde à ne pas abimer sa nouvelle robe, Elise attrapa le tissu, d’un bras, et s’assit doucement sur la motte de foin, priant de toute son cœur pour qu’aucun insecte, d’aucune sorte, ne s’accroche à sa cape et vienne s’attaquer à elle. Fuir en courant devant Gabriel pourrait le faire renoncer à l’amener en vadrouille avec lui. Gabriel, toujours dans son rôle de bambin boudeur, la tête baissée, s’assit aussi gracieusement que le dernier des roturiers. Il ne manquait plus que les poings serrés et la larme à l’œil pour que le tableau soit complet. Puis il osa s’allonger sur le foin, comme il l’aurait fait sur son lit, celui qu’elle avait vu dans sa chambre, dans lequel toute la famille De la Marquise aurait pu dormir. Elise lui en voulait de ne pas lui accorder un regard, de l’ignorer tout bonnement. Pour un homme amoureux, il cachait habillement son jeu, ignorant celle qui semblait être la source de tout le lyrisme pathétique dont il avait usé et abusé pour écrire sa fameuse lettre. Les sentiments chez Gabriel disparaissaient encore plus vite qu’un plateau de macarons.

Et voilà un autre Gabriel qui pointait le bout de son nez, l’homme dans l’ombre, celui qui se faisait discret et prévoyait. Celui qui pouvait même être prévenant, songea Elise en se rappelant de l’épisode du poignard. Elise ne savait pourquoi il se pressait tant. Si elle ne partait pas avec lui, elle aurait pensé qu’il la fuyait, elle. Il mettait un point d’honneur à être le plus incorrect et le plus impoli possible avec la jeune femme. Toujours à lui parler avec ennui, à lui expliquer qu’ils ne pouvaient se permettre de trainer, qu’ils auraient toujours le temps de réfléchir à la suite des événements en cours de route, qu’elle ne devait pas s’inquiéter car monsieur avait tout prévu, notamment pour son changement d’identité. Et puis Gabriel toujours si silencieux, ou du moins qui n’était pas dès plus volubiles, ne cessaient de se justifier, d’énumérer ses arguments pour partir vite, loin, pour fuir, mais fuir quoi ? Quelles étaient ses véritables intentions à ce prince de pacotille ?
Et il reprenait, n’étant pas conscient que pour la première fois, et Elise en restait bouche bée : il la saoulait, la saoulait de ses informations qui sortaient, sortaient. Elle l’écoutait, certes, mais aussi s’interrogeait sur la raison de l’embarras du prince borné.

« Je me fiche que vous soyez mon frère ou mon compagnon dans cette aventure, nous ne serons pas crédibles dans les deux cas. Mais en blond… excusez mon impolitesse, mais cette couleur de cheveux doit jurer…avec l’ensemble du personnage. Il me tarde de voir ce que donnera notre duo. »

Rouge revenait et Elise accordant peu d’importance au prince, sourit à la monture, qui ne lui répondit pas, comme toujours : sale bête. Elle reporta son attention, vaguement ennuyée, sur Gabriel qui reprenait son petit discours qui se voulait professionnel, mais qui ne les mènerait pas bien loin: sale bête.
Il se leva, toujours fuyant. Et Elise le contemplait, verte de rage qu’il se débarrasse d’elle, comme d’une corvée. L’amour courtois, très peu pour Gabriel !

Elise n’avait rien à envier à Gabriel lorsqu’il s’agissait d’imagination et à cet instant, elle retint un rire qui aurait été fort mal venu, alors qu’elle inventait un monde où Gabriel et Elise tous deux habillés en militaire, protégés par des officiés, échangeaient une poignée de main virile après avoir signé un accord de paix. Partenaires alors? Vraiment partenaires ? Gabriel se rendait-il compte qu’il devait être le premier homme à considérer une femme comme son égale ?
A moins qu’il ne soit en fait dans un autre rêve d’enfant et qu’il se soit pas aperçu de l’importance de ses paroles : Elise n’était pas une partenaire de jeu, ils n’allaient pas jouer à colin-maillard, main dans la main. Ils parlaient de choses vrais, réelles, adultes.

Elise sursauta, presque surprise que le prince daigne la regarder. Elle se renfrogna à son tour, guère amusée par leurs échanges tantôt (presque) amicaux, tantôt enfantins.

« En revanche, j'en attends de même de votre part. Je ne suis pas dupe, et pas aussi bête que vous le croyez. »

A bon ? Elise leva un sourcil, sceptique. Elle ne bougea pas alors que Gabriel s’affairait, elle voulait qu’il comprenne qu’elle désapprouvait son attitude. Il était stupide, il n’y avait aucun doute la dessus. Cette façon de réagir qu’il avait envers elle ! Si Tristan voyait ce comportement, à coup sûr, il botterait le séant royal.

« Il vaudrait mieux partir, maintenant. » Profitons de la nuit pour prendre de l'avance. » Il faisait malgré tout son petit chef, le partenariat n’était qu’une façon d’apaiser les colères d’Elise. Gabriel ne songeait pas réellement à partager les décisions. Le « Qu'en dites-vous, Elise? » finit d’achever la jeune femme qui était de plus en plus exaspérée. Entre eux, la température descendait un peu plus, approchant le zéro degré et Gabriel ne percevait toujours pas le danger imminent, il n’avait aucun instinct de survie.

« Vous... avez besoin d'aide, pour monter? »

Elise connaissait sa faiblesse : son manque de recul, son sang chaud. Elle restait difficilement de marbre, il fallait toujours qu’à un moment ou un autre elle sorte de ses gonds. Et elle fonçait tête baissée, sans réfléchir une seconde aux conséquences, dans la mesure où elle aurait tout le temps de réparer ses erreurs plus tard.

« Gabriel, vous n’êtes qu’un sombre idiot ! Même Rouge a plus de jugeote que vous ! »

Elle se releva et se dirigea à grands pas vers Gabriel : l’attelle, les douleurs qu’elle ressentait dans tout son corps à cause de la chute, elle avait tout oublié, seule une chose avait de l’importance : raisonner cet âne ! A quelques pas de Gabriel, les sourcils froncés, l’allure peu commode et un doigt accusateur pointé vers son prince charmant, Elise se dit qu’ils devaient ressembler à un couple, un vieux couple de jeunes.

Soudain, des rires allégèrent l’ambiance qui devenait suffocante. Des rires d’enfants, de petits garçons, des enfants de domestiques sans doute. Alors qu’elle allait paniquer, prise de cours, tout comme Gabriel, elle contempla avec stupeur, la bande de chenapans qui s’était arrêtée devant l’écurie. Cinq garçons, tous à bout de souffle, l’air joyeux. Ils se turent dès qu’ils aperçurent le couple et se figèrent. La jeune femme n’osa jeter un coup d’œil à Gabriel, trop occupée à rougir de honte comme une enfant, prise en train de faire une bêtise plus grosse qu’elle. C’est alors qu’Elise remarqua la petite chose tremblotante dans les bras du premier garçon : Corset !

Corset ! Pauvre petit Corset qu’elle avait tant cherché et pensait avoir définitivement perdu. Autrefois noir, il avait pris une étrange teinte bleue, comme les draps du château. La jeune femme se précipita vers les enfants, tous reculèrent exceptés celui qui portait le chat à bout de bras, elle lui arracha l’animal des mains et contempla avec horreur, le félin dont les poils étaient couverts de bleu, comme s’il avait trempé dans…

« -On savait pas que c’était le vôtre, mademoiselle Elise, on savait vraiment pas. Il avait l’air sauvage. Vraiment !
-Comment ?
-On l’a fait tomber dans la teinture des laveuses, on voulait juste jouer, on a pas fait exprès ! On vous jure ! »

Elise énumérait les nombreuses injures que son père lui avait défendu de dire dès le plus jeune âge, avec une profonde satisfaction. Aucun homme, aucun Dieu et en l’occurrence aucun gamin et encore moins aucun prince n’était épargné.

« Déguerpissez avant que je n’appelle Jacob le terrible ! Et je vous conseille vivement d’oublier cette affaire ! Que je ne vous retrouve plus à faire des bêtises par ici !»

Quelques instants plus tard leurs galoches claquaient contre les pierres et Elise se tournait vers Gabriel, prête à décharger toute sa colère sur ce pauvre malheureux. Bien que conscience du ridicule spectacle qu’elle offrait au prince, le chat bleu tenu maladroitement par un bras et demi, la mine sévère, elle poursuivit :

« Nous allons récapituler les problèmes qui sont ou risquent d’être les notres. Voilà ce que je craignais qu’il arrive si nous partions trop rapidement. Vous n’avez rien préparé, comme toujours et je ne m’étonne pas du tout du fait que les poignards soient attirés par vous. J’avoue moi-même que parfois l’envie me démange de vous en planter un en plein cœur, là ou aucun soin, aucune aide, ne pourra vous sauver. »

Elise reprit sa respiration et commença à énumérer les points à revoir :

« Premièrement, il n’est pas question de partir sans en avoir informé le roi au préalable ! Vous rendez vous compte une seconde de l’embarras dans lequel nous aurions été ? La famille De la Marquise accusée de traitrise envers le royaume pour avoir tué ou égaré le descendant du trône, ce départ prise pour une fuite envers vos devoirs, envers nos devoirs, une fuite d’amoureux, trahison envers la couronne pour rejoindre l’ennemi…Et encore bien d’autres possibilités de scénarios qui n’ont pas un instant effleurées votre cerveau plus qu’épais ! Heureusement j’ai pris le temps d’écrire une missive à ma famille. J’espère qu’elle arrivera au roi ! Il est trop tard pour que vous fassiez de même, espérons que mes informations suffiront à apaiser leurs inquiétudes. »

Besoin d’air : inspiration, respiration :

« Deuxièmement, qui me dis que vous connaissez l’itinéraire ? Puis-je avoir confiance ? Si vous trouvez votre chemin aussi bien que vous vous occupez des préparatifs du voyage je crains de ne pas être en sécurité à vos côtés. Vous devrez prendre soin de celle que vous avez un jour prétendue aimer. » Rire bref. « J’avoue me perdre dans mes propres appartements, je dois donc m’assurer que vos rêveries ne nous mèneront pas tout droit chez les conseillés de votre père. Ce serait fâcheux. »

Besoin d’air : inspiration, respiration :

« Troisièmement : cette fameuse potion d’un magicien que nous savons tous plus ou moins fou. Nous allons prendre le parti de croire cet homme. Si cette potion fonctionne, sachez que si certains ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez, d’autres qui auront, sans nul doute, entendu parler de notre fuite, se poseront des questions sur cet étrange duo vêtu comme des nobles et habitué à leurs manières de vivre. La magie est chose commune, les gens s’attendent à ce que le prince s’enfuit en changeant d’identité. »

Corset, effrayé, griffa Elise et sauta de ses bras pour fuir dans un coin sombre de la grange. La jeune femme cligna des yeux, une fois, deux fois, puis détourna le regard, évitant celui de Gabriel. Elle était stupide, elle n’allait plus faire partie du voyage ! Elle devait se contenir si elle voulait éviter que le prince ne la renvoie à ses parents. Il semblait déjà si enchanté par la présence d’Elise…
Une équipe. Ils étaient une équipe, partenaires même ! Peut-être que ce qu’il manquait à Gabriel pour qu’il devienne un grand roi, c’était de le laisser prendre des décisions par lui-même, le laisser diriger, se tromper, pour mieux savoir quoi faire par la suite. Elle inspira, cette fois, non pas pour pouvoir de nouveau crier après son cher et tendre, mais plutôt pour prendre son courage à deux mains. Elle avait besoin de macarons, son moral ne s’en porterait que mieux ;

« J’ai eu tord de vous parler ainsi. Vous avez, pour une fois, raison. Nous sommes partenaires et nous nous devons mutuellement le respect. Nous allons partir sur la base que vous avez fixée : vous n’êtes pas stupide et je place ma confiance en vous. Totalement. »

Elise le dépassa, son maintient presque rigide et des regrets pleins la tête : elle avait dit qu’elle lui ferait confiance. Elle n’aurait à présent plus droit au chapitre. S’arrêtant devant Pissenlit qui lui lançait un regard qui signifiait clairement : «Tu t’es mise toute seule dans la panade. » Elle se tourna un instant, fixant le dos de Gabriel et lança :

« Gabriel, une dernière chose à régler avant que je ne vous considère comme un être doté d’un quelconque intellect : comment voulez-vous que je puisse monter sur le dos de Pissenlit avec une attelle ? Nous ne sommes pas au cirque.»

PS: "Derrière chaque grand homme, se cache une femme". What a Face
Revenir en haut Aller en bas
Gabriel de Guerry
Prince d'Ingary
Gabriel de Guerry


Nombre de messages : 57
Date d'inscription : 19/07/2007

La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitimeSam 31 Juil - 5:59

Elle osa ouvertement l'insulter comme nul autre auparavant ne l'avait fait. Pas même Tristan. Pas même ses frères. Personne. Avec ce doigt qu'elle avait dirigé vers lui, avec ces mots qu'elle lui avait tirés en plein visage, le comparant à son propre cheval, Elise avait coupé à la fois le souffle et la voix de Gabriel. Comment osait-elle... Comment osait-elle... Sans cesse ces trois mots revinrent sans relâche à son esprit. À tel point qu'il n'eut à peine conscience de la scène des gamins. Ils étaient venus, puis repartis, et il y avait eu ce chat. Bleu, le chat.

Mais elle revint à la charge, plus vive encore, et lui marcha dessus sans vergogne. Elle le prenait pour un moins que rien. Un imbécile. Elle le détestait plus encore qu'il n'avait jamais su se l'imaginer. Aucune confiance. Et elle s'adressait à lui comme si elle croyait mieux connaître son devoir de futur roi. Tandis qu'Elise s'adonnait à anéantir tous ses plans, à le réduire à néant, à insignifiance, immaturité, bêtise, ridicule... Gabriel sentait grandir en lui un sentiment de culpabilité étouffant. Il aurait préféré trouver la force de caractère de tenir tête à cet affront, il aurait aimé se découvrir davantage de sang-froid et d'assurance, et persister à croire en lui, en ce voyage, en eux. Déboussolé, il détourna son regard d'Elise. Immobile, il ne savait plus où aller, même nulle part lui sembla inaccessible. Il en avait perdu jusqu'à sa capacité à trouver repos dans les nuages, le temps de retrouver son chemin. Cette fois, le ciel était bel et bien clair, il ne pouvait échapper à la haine d'Elise. Il souffla, et entendit tomber ses armes à ses pieds. Épée, poignard, flèches, lances, pistolet... Même le bouclier ne tint plus et se fracassa au sol, réduit à poussière, comme le reste. Un coup de vent et ce qu'il y avait du combattant dans le prince disparaissait.

Elle tenta de revenir sur ses paroles, mais Gabriel ne fut pas convaincu. Ils se devaient le respect, avait-elle dit. Ce respect, songea-t-il, ne viendrait jamais de lui-même. Le devoir guiderait chacun de leurs gestes, chaque décision, chaque mot échangé. Ce respect serait leur traité de paix. Une paix fragile et illusoire. Il l'aimerait comme il savait si mal l'aimer, pris entre son masque de noble et sa maladresse d'enfant. Et elle cultiverait son mystère. Il ne saurait jamais l'aimer comme elle voudrait qu'on l'aime, parce qu'il était Gabriel, et que même blond, il le demeurerait pour le reste de ses jours.

La culpabilité d'avoir mis Elise dans cet état persistait à le priver de mots. Il se savait coupable de sa négligence. Elle avait osé lui parler comme à un chien, et encore, mais ses accusations n'étaient pas inappropriées. Qu'adviendrait-il de cette guerre, si un deuxième prince venait à disparaître? Gabriel s'en voulut de ne pas avoir prévenu le roi. Sottement, il s'était emballé en songeant que pendant des jours, il aurait pu profité de l'anonymat pour la toute première fois de sa vie. C'était son visage de prince et les responsabilités, les regards qui venaient avec, qu'il s'était mis en tête de fuir. Et puis, naïf, l'idée de se retrouver seul avec Elise l'avait sûrement influencé. Lui qui ne trouvait jamais le courage de lui parler franchement, de lui dire ce qu'il ne savait qu'écrire, s'était convaincu qu'en faisant en sorte qu'ils ne soient que tous les deux, les choses iraient mieux. Aussi avait-il espéré, peut-être, découvrir en Elise quelque élan de sympathie envers sa personne. Quelle erreur. Il avait perdu de vue le but premier du voyage, sa réelle intention, et à son insu. C'est à la recherche du prince d'Ys, qu'il devait s'accrocher, à la fin de la guerre. Le bien-être de son peuple devait passer avant le sien. Mais il avait profité de l'engouement d'Elise à l'accompagner pour la piéger. Ce constat auquel aboutissait ses réflexions l'effraya, et le dégoûta de lui-même. Mais qui était-il donc, à la fin? Se pouvait-il qu'il ait si sournoisement et inconsciemment agi?

Muet, Gabriel aida Elise à monter sur son cheval, la soulevant machinalement par la taille afin qu'elle puisse s'installer sur le dos de l'animal sans s'appuyer sur son attelle. Elle n'avait pas demandé. Il avait encore fallut qu'elle se rit de lui, d'une manière ou d'une autre. Évidemment, il aurait dû y penser, ils n'étaient pas au cirque. Et s'il avait simplement déclaré qu'il l'aiderait à monter, l'en aurait-elle remercié ou ne se serait-elle pas plutôt indignée qu'il se montre si entreprenant?

Installée sur son cheval, son bagage bien attaché, Elise était prête à partir. Pas lui. Il prit son manteau et, toujours sans un mot, se dirigea vers un coin de l'écurie où l'on entreposait divers outils, à l'abri de la vue d'Elise. Il en ressortit au bout d'un court instant, son manteau sur les épaules, mains dans les poches. Il marcha jusqu'à Rouge, toujours aussi prêt, agrippa la selle à l'avant et à l'arrière, mis son pied dans l'étrier et grimpa. Serrant les rênes dans ses poings gantés, il tourna légèrement la tête sur le côté, leva brièvement les yeux vers ceux d'Elise, résolu.

« Vous ne me faites pas confiance. Et mon plan est loin d'être idéal, Elise. J'ai commis des erreurs. J'ai négligé mon devoir d'héritier. Et vous avez effectivement vos tords, vous aussi. Plus particulièrement celui de m'avoir parlé comme vous l'avez fait. »

Son regard se radoucit, sa voix se fit plus basse, mais le ton demeura ferme.

« Jamais je n'aurais osé. »

Il y a une différence entre se fâcher contre quelqu'un et le traiter d'idiot. Que ce quelqu'un soit futur roi ou pas. Les mots d'Elise l'avait remué bien plus que son ton. Mais enfin, Elise serait toujours Elise, et il était possible qu'elle n'arrive jamais à évaluer justement le poids de ses mots...

À peine pressa-t-il ses jambes contre les flancs de Rouge que ce dernier s'élançait dans le sentier boisé longeant le grand enclos. Gabriel tint les rênes d'une main et serra son bras libre contre son ventre. Contre le Corset qu'il y avait installé, en fait. Il l'avait trouvé derrière une pelle, dans l'écurie et, rapidement, avait retiré sa chemise afin d'emballer comme un poupon, bien serré, le chat dedans. Avec une laisse, il avait fixé le chaton contre lui et l'avait caché sous son manteau. C'est qu'il ne pouvait pas le laisser comme ça, fraîchement teint, car il risquait de s'empoisonner. Installé comme il l'était, il ne pourrait se laver et, avec un peu de chance, finirait même par s'endormir, engourdi par la chaleur de son hôte et, éventuellement, bercé sur un rythme un peu moins brusque.

Gabriel pensa au roi. Il se promit de se mettre à l'écriture d'une missive lui expliquant son départ dès qu'ils s'arrêteraient. Il pourrait même se servir des circonstances particulières du voyage pour appuyer le message qu'il lui transmettrait. Narcisse aurait eu un aperçu de ce que cela faisait que de perdre un prince.
Ils défilaient dans le paysage, ils fonçaient dans le vent, et Gabriel sentit que tout n'était pas perdu. Il retrouverait le sens de cette aventure et survivrait à Elise. Il trouverait des macarons, aussi. Il vaudrait mieux faire des réserves, par mesure de prévention. Ainsi songeait-il lorsqu'ils arrivèrent bien vite à la dernière bourgade avant de longues heures de route. Ils devaient passer par là pour arriver aux landes en évitant Kingsbury. Il ralentit la cadence, passant du galop au trot, pour finir au pas. À cette heure tardive, on trinquait dans les tavernes et la plupart des enfants rêvaient déjà depuis un bon moment. Avant de s'approcher davantage, Gabriel se dit que le moment était probablement venu. Celui qu'il redoutait bien plus qu'il n'osait se l'avouer. Le cheval s'immobilisa sur le gravier et Pissenlit passa devant.
Gabriel tint le petit contenant de verre devant ses yeux, doutant soudain du magicien royal. Mais à force de se répéter que le vieillard l'avait plus d'une fois tiré d'affaires, il décapsula le flacon, le porta lentement à ses lèvres et, maintenant ses paupières résolument closes, but une gorgée. Cela goûtait les pissenlits. Il rangea la potion, étonné qu'il ne se passe rien, et rejoint Elise.

« Je crains qu'il ne faille changer de stratégie... »

Gabriel était blond. Terriblement blond. Et ses yeux bleus semblaient plus bleus encore. Ses courtes mèches – blondes – encadraient son visage et frôlaient à peine le col de son manteau.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





La raison du plus fort est toujours la meilleure Empty
MessageSujet: Re: La raison du plus fort est toujours la meilleure   La raison du plus fort est toujours la meilleure Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
La raison du plus fort est toujours la meilleure
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Le pays d'Ingary :: ₪Magnecour₪ :: Les maisons-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser